C’était jeudi après-midi entre le soleil et la neige légère sur le boulevard Saint-Joseph à Montréal, et Augusta rentrait chez elle à pied après l’épicerie. Masque facial chirurgical. Bouteille de désinfectant bien en vue dans la poche latérale de son petit sac à dos.
« Ouais, quitter la maison est plus effrayant qu’avant », a déclaré la femme dans la soixantaine, après avoir un peu hésité à se faufiler dans une conversation avec un inconnu au coin d’une rue. Mais je me protège et le prends au jour le jour. »
Comme on pouvait s’y attendre, la peur derrière la Grande Incarcération, le nom désormais donné à la crise sanitaire qui enferme le monde depuis un mois, s’est finalement propagée plus rapidement dans la société que le coronavirus lui-même. Et à l’amorce d’une ouverture progressive, comme le laissent entendre les autorités depuis des jours, elle menace aussi de faciliter l’apparition d’une autre forme d’épidémie… une épidémie d’agoraphobie et de peur dans les espaces publics et privés, effets secondaires d’une lutte encore incertaine contre le COVID-19.
« Ce sera une deuxième pandémie, prédit de l’autre côté de la ligne Ella Amir, directrice générale d’AMI-Québec, un groupe d’entraide pour les personnes anxieuses et les troubles anxieux. Pour l’instant ce n’est pas très visible, car les gens sont enfermés et inquiets pour leur survie, mais la question de la santé mentale est susceptible de devenir de plus en plus importante.
Lancé avec un ordre de confinement pour « sauver des vies », avec une conférence de presse quotidienne faisant chaque jour le point sur les dernières victimes du coronavirus en faisant remonter le chiffre de la veille, avec des visages masqués apparaissant dans la rue pour se protéger d’un ennemi invisible, et enfin avec l’émergence d’un discours naissant sur la nécessité de permettre à la population d’être infectée par le coronavirus pour assurer l’immunité du troupeau, les ingrédients de cette autre pandémie sont bel et bien là pour prendre en charge « la montée des troubles anxieux dans la société ». », estime Frédéric Langlois, professeur de psychologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
« L’ampleur du phénomène est difficile à prévoir, car nous avons affaire à une situation exceptionnelle », ajoute ce spécialiste de l’anxiété. Mais le climat d’incertitude, la perception globale que le monde est dangereux, ainsi que l’idée désormais bien ancrée que toute personne dans la rue ou ailleurs est un contaminant potentiel pourraient avoir un effet multiplicateur sur l’agoraphobie, la phobie sociale ou encore la germophobie [la peur de germes et infections] », ajoute-t-il.
Amplifier la peur
« Les personnes ayant ces peurs particulières traversent définitivement une période difficile », a déclaré Baruch Fischhoff, professeur au département d’ingénierie et de politique publique de l’Université Carnegie Mellon de New York, où il s’intéresse à la perception des risques en temps de crise. Il siège également à un comité consultatif de la National Academy of Sciences impliqué dans la gestion de la pandémie aux États-Unis. Lire aussi : Que faire quand il fait trop chaud ?. « Pour d’autres qui ont une peur plus généralisée, elle est probablement amplifiée au contact du sujet spécifique du COVID-19. »
Ce sera une deuxième pandémie. Pour le moment, ce n’est pas très visible, car les gens sont enfermés et inquiets pour leur survie. Mais la question de la santé mentale est susceptible de devenir de plus en plus importante.
La guerre contre le coronavirus s’accompagne de ses paradoxes, portés par un message fort des autorités pour assurer la sécurité de la population en appelant à la distanciation physique. Le problème est qu’en insistant sur l’évitement social à des fins de santé, sur le danger de rencontre, sur l’impossibilité d’embrasser des êtres chers, ce discours renforce aussi la croyance en un monde dangereux, alimente la peur et, dans les cas extrêmes, conduit à la morbidité. .
« Il est normal dans les circonstances que plus de personnes souffrent de troubles anxieux, dont l’agoraphobie en fait partie, explique M. Langlois. Nous verrons occasionnellement apparaître des cas qui finiront par revenir à la normale avec le temps. Mais il est clair que des ressources seront nécessaires dans les mois à venir pour aider les gens à trouver un équilibre dans cette situation exceptionnelle. » Équilibre entre garder ses distances pour ne pas mettre en danger la santé publique et éviter l’écueil d’un isolement partiel ou total.
Apprivoiser l’incertitude
Après la première réponse radicale pour limiter les dégâts du coronavirus, l’enjeu est désormais d’apprendre à vivre avec l’envahisseur tout en restant en bonne santé, estiment les spécialistes de la santé mentale et de la gestion des risques. Voir l’article : « Les gens ne se soignent pas » : la Mayenne manque de dentistes.
Au Québec, les mesures prises jusqu’à présent font que le coronavirus a jusqu’à présent été moins meurtrier que les suicides, les néphrites ou le diabète. Le 13 avril, donc, le scénario le plus optimiste du gouvernement en ferait la huitième cause de décès le 7 mai, avec des décès inférieurs au nombre annuel dus à la maladie d’Alzheimer, aux accidents ou à la grippe saisonnière. Le pire scénario placerait la COVID-19 au troisième rang des causes de décès au Québec, juste derrière le cancer et les maladies cardiaques.
« Pour que les gens réagissent au mieux, ils doivent connaître l’ampleur des risques et la meilleure façon de les gérer », déclare Fischhoff. Cependant, ces informations sont difficiles d’accès et parfois même contradictoires. Un phénomène qui, selon lui, est également difficile à éviter en raison du caractère évolutif des connaissances qui se construisent en temps réel sur ce virus, ses cibles favorites ou les prédispositions sanitaires, environnementales ou sociales qui amplifient les effets meurtriers de le virus .
Face à l’incompréhension, à l’incohérence ou à la complexité qui accompagne cette menace, « certaines personnes préféreraient rester confinées car c’est humainement plus facile pour elles, alors qu’une meilleure information pourrait les libérer et les aider à mieux vivre ». une autre.