De sa terrasse, entre Saint-Félix-de-Pallières et Tornac (Gard), les collines s’étirent jusqu’aux Cévennes, majestueuses et apaisantes. Michel Bourgeat pensait que dans cette maison construite de ses propres mains il vivrait paisiblement sa retraite avec sa famille. Sur le frigo, une vingtaine de photographies montrent les visages heureux de sa femme Madeleine et de leurs trois enfants, aux côtés de nombreux animaux qui « faisaient partie de notre quotidien », raconte l’homme de 87 ans. Deux ânes, deux chevaux, des poules et plusieurs chiens, dont les noms sont ensuite répertoriés selon les maladies qui les ont emportés. Leucémie, anémie, cancer du sein, des testicules, pelade… Un jour l’âne, qui n’était pas vieux, s’écroula. Puis un autre a suivi. Des poulets sont morts sans explication.
Plomb, arsenic, zinc, cadmium et antimoine
Juste une coïncidence? Michel Bourgeat n’y croit pas. En 2012, il a fait prélever des échantillons de son sol. Ceci pourrez vous intéresser : Samsung Galaxy Watch 5 et Watch 5 Pro : démarrage. Acquise en 1977, elle est située en bordure des anciennes mines de métaux Joseph et Croix de Pallières, exploitées jusqu’en 1971 par la société belge Vieille Montagne, désormais rebaptisée Umicore. Les résultats de laboratoire examinés par La Croix (1) révèlent des niveaux élevés de plomb, d’arsenic, de zinc, de cadmium et d’antimoine.
Comme ses animaux, Michel a également été touché par la maladie. Trois fois. « Un cancer de la prostate, deux cancers de la peau », dit-il. Avant lui, sa femme a également eu un cancer de la peau, puis un cancer du sein. Elle est décédée en 2014 d’une autre cause. Les deux filles de Michel, Catherine et Brigitte, y ont passé leur adolescence, « à un âge critique d’un point de vue hormonal », réalise-t-il.
Aujourd’hui, Catherine a 59 ans et vit dans une autre région. Sa fille souffre d’un handicap polymorphe dont l’origine et le diagnostic restent « indéterminés », tout comme le fils d’un voisin un peu plus bas dans le village. Brigitte est devenue monitrice d’équitation. Elle venait d’être opérée d’un carcinome, tout comme son père. Adolescente, elle faisait galoper son cheval le long du talus d’Umicore, un peu plus loin derrière la maison.
Michel Bourgeat dans sa maison de Saint-Félix-de Pallières. / Iselyne Perez-Kovacs pour La Croix
« Il y avait du sable et beaucoup d’espace. C’était magnifique. Les filles se prenaient pour des cow-boys, Brigitte y corrigeait même sa monitrice d’équitation », se souvient Michel. En réalité, le remblai, que les riverains appelaient alors « la dune », était le dépôt d’un million de tonnes de résidus fins chargés de métaux et de métalloïdes. « Ce n’était pas du sable », souffle Michel. Après des années de batailles judiciaires entre l’Etat, les riverains et Umicore, le barrage vient d’être fermé, cinquante ans après la fermeture de la mine.
Des plaintes classées sans suite
Depuis, Michel et d’autres habitants peinent à identifier le lien entre la pollution causée par les mines et les maladies qui affectent les villageois. Fin 2015, l’Agence régionale de santé (ARS) a mené une campagne de tests auprès de 675 personnes sur les communes de Carmoulès et de la Croix de Pallières. Parmi eux, 135 présentaient des concentrations en arsenic supérieures à la valeur de référence française. Sur le même sujet : Bretagne : SUP Paddle, 5 sorties pour les vacances et quelques conseils d’experts. #AnIdeaForSummer. Une quantité excessive de cadmium a également été observée chez 47 résidents. Le niveau d’arsenic de Michel s’est avéré huit fois supérieur à la valeur de référence.
Dans la lettre annonçant les résultats, l’ARS insiste sur la nécessité de « vigilance », « de surveillance médicale et d’examens complémentaires ». La lettre comprend également des conseils de santé préconisant de « ne laissez pas les enfants jouer dans la saleté », « lavez-vous souvent les mains », « coupez-vous les ongles courts », « lavez régulièrement les rebords de fenêtre, les semelles de chaussures », « évitez les tapis à l’intérieur » ou encore, « ne cultivez votre jardin qu’en bacs ». De plus, rien n’est planté au sol dans le jardin de Michel. Il a déraciné son potager. Les plantes et certains piments d’Espelette prospèrent dans des pots et des bacs en bois.
Après la publication des résultats de l’ARS, une cinquantaine d’inculpations ont été déposées contre X par des riverains et deux sociétés pour « mise en danger de la vie d’autrui ». En 2020, le parquet de Marseille les a toutes rejetées car elles ne pouvaient pas établir « un lien de causalité direct entre les anciennes activités minières (…) et la pollution des sols et la santé de la population », selon le tribunal de Marseille. .
Des liens mais pas de causalité directe établie
« Ce lien de causalité est la principale pierre d’achoppement », déplore le Dr François Simon, co-fondateur de l’Association pour la dépollution des anciennes mines Vieille Montagne (ADAMVM), médecin généraliste à la retraite et membre de la Haute Autorité de santé (HAS ) des groupes de travail sur l’arsenic et le cadmium. Lire aussi : Nord-Béarn/Madiran – Des idées cadeaux de Noël 100% locales. » Il précise cependant que la HAS a publié un rapport sur les conséquences sanitaires de l’arsenic en 2020. »
Dans ce rapport, l’autorité publique indépendante précise que « la plupart des cas de tumeurs cutanées ont été observés chez des individus exposés à l’arsenic pendant de nombreuses années », expliquant qu' »il s’agit de cellules de carcinome basocellulaire », autrement dit cancer de la peau. Le même nombre diagnostiqué dans la famille Bourgeat, où le sol contient un taux d’arsenic de 750 mg/kg, bien supérieur au maximum de 60 mg recommandé par la HAS. En plus du pénal, d’autres poursuites ont été engagées devant le tribunal administratif de Nîmes. Celle de Michel Bourgeat a été rejetée fin 2020.
Pour son avocat, Me Charles Fontaine, « la justice craint un effet domino », alors que 7.000 friches industrielles ont été recensées en France, dont 3.500 sites miniers. « Si nous payons une compensation à mon client, il faudra le faire pour tous les résidents. « Il a quand même fait appel, espérant que son client » recevrait au moins une indemnisation pour la perte de la maison. Celui-ci est debout, mais ne vaut rien de plus. Un recours sera prochainement déposé contre le dossier, qui n’a pas sa place à Toulouse.
Les Français très exposés aux métaux lourds
Selon une étude publiée en 2021 par Santé Publique France, l’ensemble de la population française a été exposée aux métaux lourds entre avril 2014 et mars 2016, y compris les enfants.
Parmi les 27 métaux lourds étudiés, l’arsenic, le mercure et le cadmium semblent avoir augmenté significativement au cours des dix dernières années.
Le cadmium, reconnu cancérigène, a été détecté dans près de la moitié de la population à une concentration supérieure à celle recommandée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).