La crise sanitaire et les confinements, la guerre en Europe, créent un climat où la planète est à bout de souffle, et cela touche particulièrement les jeunes, déjà parfois fragilisés par l’isolement ou la persécution. De plus en plus d’adolescents, mais aussi d’enfants, sont hospitalisés en raison de troubles psychologiques ou de tentatives de suicide. En perte d’orientation, sans confiance en l’avenir, ils se plongent dans les écrans et les réseaux sociaux pour mieux s’évader de la réalité. Médecins, pédopsychiatres, éducateurs ou parents témoignent de cette souffrance et tirent la sonnette d’alarme.
21 juin 2022. Le soleil brille à Paris. Dans la cour, onze enfants accompagnés de leurs parents. En arrière-plan, une scène, des instruments de musique et une puissante sonorisation. Partout, des ballons, des gâteaux de fête, de la pâtisserie. Les enfants chantent devant un public de soutien qui chante le nom de chaque interprète. C’est le Festival de Musique Scolaire dans sa forme la plus joyeuse. Cependant, certains indices nous font comprendre que l’environnement est particulier.
Il y a le petit Younès*, qui bat l’air avec des mouvements incontrôlés, comme s’il essayait d’attraper des mouches imaginaires. Plus tard, nourrie par ses parents, Léonie*, 13 ans, pleure amèrement en se cognant la tête avec ses petits poings. A plusieurs reprises, c’est Oumar*, un petit bout de chou, qui retient l’attention du public et tente de monter sur scène à grands cris. Etc. En fait, personne n’est surpris. C’est une routine locale, et les sourires sur leurs visages sont de mise en ce jour de fête.
Nous sommes dans la cour du service de pédopsychiatrie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, dans le 13e arrondissement de Paris. Le plus grand de la ville. Il est divisé en sept unités qui accueillent chacune une quinzaine de patients selon l’âge et la pathologie. Capacité très faible, notamment parce que les hospitalisations durent plus de deux mois, et certaines d’entre elles peuvent durer plusieurs années, selon le Dr Paloma Torres, psychiatre, responsable de l’unité 6-12 ans. En effet, le turnover est très faible, alors que les listes d’attente s’allongent à travers le pays depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Avec des demandes d’enfants de plus en plus jeunes, Paul Alexandre Voisin, responsable des parcours de réussite éducative à la mairie de Toulouse, a déclaré : « Depuis le confinement, je suis inquiet de voir des confusions dans les matières de 5 ou 6 ans, avec des demandes d’orientation. CMP [centres médico-psychologiques, ndlr] plus à l’adolescence pour les problèmes qui ont été constatés, comme les tentatives de suicide.Même constat fait par Olivier Saint-Richard, directeur de l’éducation à l’Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep), qui rapporte le cas d’un garçon de 5 ans qui a mis le feu à son école. » La précocité et l’augmentation de ces troubles nous préoccupent beaucoup. »
Signe de l’urgence, les grands médias ont profité de la question. Début 2021, le service du Dr Paloma Torres a fait l’objet d’un reportage pour l’émission Quotidien de Yann Barthès. L’alerte a également été donnée à l’Elysée, ce qui a conduit Emmanuel Macron à proposer aux enfants dix séances gratuites avec un psychologue au plus fort de la pandémie.
Mais le Covid-19 est loin d’être le seul responsable des troubles psychiatriques touchant les enfants à un âge de plus en plus précoce. Le Dr Marion Robin, pédopsychiatre à l’Institut mutualiste Montsouris à Paris et auteur du livre Distraught Teenagers Seeking Living Society (Odile Jacob, 2017), nous met en garde : « Si on pense que les adolescents vont mal à cause du Covid, cela minimise le rôle des autres causes et aucune action elle ne justifie l’absence. En fait, la pandémie est la goutte qui a fait déborder le vase. » La même analyse de la situation par Paul Alexandre Voisin : « Le Covid a été un indicateur et un accélérateur d’une situation sous-jacente Le Dr Angèle Consoli, pédopsychiatre à la Pitié-Salpêtrière, comme il l’a confié au journal La Croix : « On a une liste d’attente […]. Mais là, c’est gros. On passe plusieurs appels par jour, on sélectionne, on renvoyer chez eux les adolescents qui ont besoin d’être hospitalisés. C’est aussi le PrDiane Purper-Ouakil Le constat du pédopsychiatre du CHU de Montpellier : « Il est remarquable que depuis octobre [2020] il y ait eu un 40% à 50 % d’augmentation des visites aux urgences pour des raisons psychiatriques visites daco Même constat pour les tentatives de suicide, avec une prévalence féminine écrasante pour les actions réussies. C’est ce qui ressort d’un rapport commandé par Santé publique France. Ainsi, au cours des 43 premières semaines de 2021, qui ont servi de base à la recherche, les admissions aux urgences pour suicide de jeunes filles de moins de 15 ans ont augmenté de 40 % par rapport aux trois années précédentes. chez les garçons Les chiffres sont les mêmes pour les 15/29 ans, a confirmé à Libération le Pr Fabrice Jollant, psychiatre qui travaille sur le problème depuis vingt ans. comportement suicidaire « Ces données pointent toutes les deux dans le même sens : c’est-à-dire que les tentatives de suicide ont augmenté chez les adolescentes, mais pas chez les adolescents. […] Ce n’est que depuis la rentrée 2020. »
Les causes de la souffrance psychique chez l’enfant et l’adolescent restent à identifier. Selon la psychiatre Marion Robin, les facteurs sont multiples. Parmi eux : les écrans, l’isolement, la violence, la pression scolaire, l’éco-anxiété…
Sommaire
L’écran, ou l’enfermement mental
Quand on parle d’écrans, on pense bien sûr à la révolution qui a fait de nous des esclaves numériques, remplaçant nos communautés humaines par des communautés virtuelles. En fait, l’origine de la maladie est antérieure à l’avènement des ordinateurs. Il a fait sa marque dans la démocratisation de la télévision. A voir aussi : C’est l’un des meilleurs répulsifs naturels contre les moustiques. Selon l’INA, moins de 1 % des foyers français possédaient une station en 1950 : en 1975, ils étaient 80 %. Et ce phénomène s’est encore accru avec l’individualisation des postes et le temps de plus en plus long passé devant la télévision – il a triplé en moyenne entre 1986 et 2016 (source Insee). Sans oublier que la durée d’utilisation de notre smartphone augmente. Mais l’utilisation de ces derniers nous bloque mentalement. Les effets de cet incident sur nos modes de vie n’ont pas attendu l’apparition de la pandémie.
Au Japon, c’est l’émergence du hikikomori (confinement à domicile) qui a tiré la sonnette d’alarme. Ce phénomène est la dissociabilité paroxystique et l’agoraphobie qui touchent de nombreux adolescents, pour la plupart accros aux écrans. Aux États-Unis, le retrait des jeunes est une tendance croissante, comme en témoignent plusieurs rapports de l’Université du Michigan. En particulier, l’utilisation paroxystique des réseaux sociaux et d’Internet. De plus, l’exposition quasi constante aux écrans crée des problèmes de développement cognitif mais aussi des difficultés dans les relations sociales. En 2010, l’essayiste américain Nicholas Carr dans son livre Internet rend-il stupide ? (Robert Laffont, 2011), a constaté que son cerveau se vidait lorsqu’il était devant l’écran, blâmant la surcharge cognitive qui accompagne la lecture en ligne. Alors la créature est folle, désorientée, surtout le jeune dont le cerveau n’est pas encore mature.
Françoise, la mère d’un adolescent de 17 ans, témoigne des méfaits d’Internet sur son fils, victime d’un « syndrome de la cabane » apparu après le premier confinement. « Il ne sort plus de sa chambre, il ne parle à personne. Nous sommes des inconnus pour lui. Le seul contact qu’il a au monde, c’est Internet. Mais, même là, il a du mal à communiquer. »
On retrouve ici certains des éléments identifiés par le Dr Marion Robin, dont l’isolement. Pour le psychiatre : « Ce phénomène, également lié au temps passé devant les écrans, n’est pas nouveau. Cela a touché les étudiants plus tôt, et cela a grandi avec Covid. Elle s’explique par la fragilité du tissu social français et le manque de dispositifs préventifs – comme ceux du nord de l’Europe – et le manque de solidarité et d’accompagnement social propre aux pays du Sud. Mais la pandémie a permis aux lignes de commencer à bouger. »
Ceci est confirmé par le Rapport qui analyse les opinions de la crise du Covid-19 dans le secteur de la santé mentale et de la psychiatrie. Ce rapport présente plusieurs initiatives menées pendant la crise, comme celles menées par le psychiatre Sofian Berrouiguet, du Laboratoire de traitement de l’information médicale du CHU de Brest. Cette dernière a développé plusieurs procédures pour suivre les patients suicidaires, principalement via une application qui leur permet de rester en contact avec les patients et de collecter des informations sur leur état par SMS ou entre les rendez-vous. « Jusqu’à présent, en France, on utilisait très peu ce type d’outil, encore moins en psychiatrie. Cette application pourrait aussi être utilisée pour les troubles de l’humeur », a expliqué le praticien.
Mais le problème fondamental demeure, car ses causes sont profondément ancrées dans notre société. « Le Covid a renforcé l’évolution d’une société basée sur la réduction des contacts humains », explique le Dr Marion Robin. Cependant, la question du « toucher émotionnel » est très importante. Il a été mis en évidence par des études qui ont révélé l’existence de cellules cutanées innées. »
Cependant, même si certaines organisations de santé sont conscientes du problème, les choses ne vont pas s’améliorer compte tenu de l’illusion des échanges et de la dématérialisation des mondes virtuels, comme les métaverses. Effrayant, pour Paul Alexandre Voisin : « Le métavers m’inquiète. Avec les écrans, on est dans une forme de désolidarisation du sujet, où les jeunes s’incarnent dans un avatar. Dès 10-11 ans, tout le monde a des comptes sur Instagram, TikTok, etc. Quand je discute avec eux, j’ai l’impression qu’ils vivent dans un film. Ce que dit aussi Olivier Saint-Richard : « Le numérique est un multiplicateur de difficultés pour les jeunes hypnotisés par les écrans. »
Nous allons maintenant à Vénissieux, en banlieue de Lyon. On y retrouvera Magali*, qui tient l’école maternelle. « Je vois de plus en plus d’enfants atteindre la petite section sans descendre de voiture, alors qu’ils marchent normalement. Ils ont des sucettes ou des chips dans la bouche et les téléphones de leurs parents dans les mains. Certains entrent à l’école sans connaître les codes de l’interaction sociale ou parfois même les bases du langage. Chez ces jeunes enfants, que j’appelle des « bébés écrans », cette exposition répétée au téléphone semble provoquer des troubles autistiques dont le degré de réversibilité est inconnu. »
Harcelée jusqu’au suicide
Les mots de Magali évoquent d’autres maladies, comme les troubles alimentaires. « Nous vivons une crise de capacité, exacerbée par la pandémie », a déclaré Paul Alexandre Voisin. Selon l’Inserm, avant la pandémie, environ 17 % des enfants français étaient en surpoids ou obèses (4 %). Mais, si l’on en croit une autre étude réalisée par le laboratoire Roche en 2020, désormais 34% des 2 à 7 ans et 21% des 8 à 17 ans sont concernés. À une époque de progression dangereuse où l’apparence compte et où les médias sociaux privilégient l’esthétique qui s’accorde mal avec des courbes jugées inappropriées, malgré les efforts de marketing. Ceci pourrez vous intéresser : Canicule : alerte orange / Actualités. Cela peut entraîner des problèmes chez les jeunes dont l’image de soi ne correspond pas, allant de l’intimidation au comportement suicidaire. « Le harcèlement cause d’énormes dégâts », a souligné Paul Alexandre Voisin. Pas une semaine ne se passe sans qu’une vidéo intime ne circule dans les écoles. C’est l’une des causes de suicide complet chez les filles. »
Sofia*, en région lyonnaise, raconte comment sa fille Agathe, aujourd’hui âgée de 14 ans, a été victime de harcèlement. Enfant, après des manifestations troublantes de colère et de violence, ses parents l’envoient en pédopsychiatrie. Il est diagnostiqué HPI (haute capacité intellectuelle, son QI est supérieur à 130). C’est souvent la source d’une socialisation difficile. Dans le cas d’Agathe, les choses se sont améliorées lorsqu’elle est entrée en CE1, en même temps qu’elle a ravivé sa passion pour la danse. « Mais quand on arrive en 5e, c’est une reprise », a expliqué Sofia. Agathe est victime de harcèlement. Il ne peut plus assister aux cours. Heureusement, avant la pandémie, son niveau de danse l’exigeait, il a dû changer d’université pour intégrer la section sport-études. Cependant, en janvier 2021, il demande la reprise de son suivi psychiatrique. Le médecin lui donne un traitement. Scarifications, tentatives de suicide… Nous ne voyons pas d’autre solution que l’hospitalisation. Comme beaucoup d’enfants à HPI, il n’arrive pas à s’en aller et maîtrise rapidement les choses. Depuis, il y a eu des phases d’humeurs mitigées, des moments de dépression extrême. Et récemment, il est entré dans une période mystique. Il veut devenir musulman. Elle passe son temps sur TikTok à regarder des vidéos de filles voilées, parlant du renouveau que représente cette conversion. »
Là encore les réseaux, et la nouvelle influence des religieux tentent de combler le sentiment de vide et d’inquiétude face à l’avenir. Mais c’est pire.
Prostitution et violences sexuelles
« J’ai participé à un groupe de travail sur la situation de la prostitution des mineures en période garonnaise, déclare Paul Alexandre Voisin. Nous avons recensé 1 400 jeunes filles qui se prostituent à travers les réseaux. C’est un phénomène qui explose. Les troubles psychologiques qui surviennent sont inestimables. Lire aussi : Coronavirus : les dentistes de Gironde ne peuvent plus voir leurs patients. L’idée du succès uniquement dans la valeur de l’argent quand elle se fonde, la prostitution et ses horreurs ne sont jamais bien loin et résonnent dans les discussions sur les violences sexuelles. C’est ce que nous rappelait le Dr Marion Robin. « Dans mon service, nous avons entre un quart et un tiers de nos jeunes victimes de violences sexuelles. »
Parmi les nombreuses causes de souffrance psychologique chez les jeunes, certaines sont liées à l’avenir. En tête, l’éco-anxiété, un trouble que le Dr Marion Robin observe de plus en plus chaque jour chez les patients de son service : « Cette pression écologique s’exprime de trois manières. Il y a l’état objectif de la planète, qui limite les perspectives d’avenir. Il y a une action collective. Et l’idée que les jeunes voient le danger comme à l’abri de celui-ci. Et beaucoup de ceux qui participent à l’acte croient que les adultes les jettent. Cela se voit dans les actes suicidaires, qui traduisent souvent une forme de résignation face à l’avenir, ou lorsque la marche semble trop haute. Toute colère qui ne peut être dirigée contre les autres est dirigée contre soi-même. »
L’angoisse de ne pas être le premier
Il en va de même pour la pression académique. « Cela concerne près de la moitié des jeunes hospitalisés en psychiatrie, précise le Dr Marion Robin. Le sentiment d’inadéquation est une cause fréquente de tentatives de suicide dans une société qui prône des idéaux individualistes. » Pour Agathe, en tant que danseuse de haut niveau, l’angoisse de performer et la difficulté de poursuivre ses études en même temps étaient sa fragilité, des facteurs qui augmentaient le psychologique.
Le problème de la pression scolaire semble paradoxal dans un pays au système éducatif différencié. Sauf que c’est à mettre en rapport avec l’état psychologique des enfants qui ont connu une paix durable et qui craquent sous la pression, encore plus quand la guerre revient en Europe, où le Covid annonce la future épidémie (voir FT n°35) et où l’inflation galopait à nouveau. C’est encore le sens des propos du Dr Marion Robin. « L’idéal du risque zéro est incompatible avec les missions d’adolescent, un âge où les individus doivent progressivement apprendre à gérer le risque. Les humains ont la capacité de surmonter des situations difficiles, tant qu’ils ont du bon sens. Voyez comment les Ukrainiens s’unissent et travaillent pour le collectif. La comparaison avec notre jeunesse est instructive. »
Mais il reste encore deux choses. D’abord, le triste état de nos structures de santé, dont la psychiatrie est un parent pauvre. Il est significatif ce que raconte Paul Alexandre Voisin à propos d’un dossier qu’il a traité : « J’ai appelé un CMP pour un enfant de 6ème qui m’inquiétait. Ils m’ont dit qu’il n’y aurait pas de réunion avant avril 2023 ! » Au-delà de la psychiatrie, « la protection de l’enfance est exsangue », a souligné le docteur Marion Robin, avec une justice démunie, dont la lenteur pose problème. Mais c’est surtout la désagrégation des structures de soins pédopsychiatriques et de l’hôpital qui jouent un rôle déterminant dans cette situation. Par conséquent, le dernier rempart contre le suicide n’est pas complet. C’était aussi pour alerter sur l’état de la pédopsychiatrie, le 8 juillet, il lançait une tribune dans le magazine Le Monde signée par 700 professionnels : « En France, en 2022, des enfants et des adolescents meurent de souffrance psychique. manque d’attention et de considération de la société. »
Ensuite, il y a la facilité avec laquelle notre société accepte de confier à la psychiatrie des situations qu’elle ne devrait traiter qu’en dernier recours. Certaines sont soumises à l’approbation des parents et des normes sociales et républicaines ; d’autres sur l’État et les valeurs qu’il priorise, mais aussi sur sa vision de la gestion de l’urgence climatique, des violences sexuelles et de la place du numérique. Les dernières causes à défendre, comme l’environnement et l’éducation, nous concernent tous et affectent le sens que nous voulons donner à ce monde, si ça veut dire encore quelque chose, ça a encore… un sens, c’est vrai.
* Les prénoms des enfants, des parents et de certains officiels ont été modifiés.