Ce texte est extrait de l’audition CCNE de Corine Pelluchon le 14 septembre 2021, à Paris.
Les citoyens désignés pour participer à la Charte citoyenne en fin de vie sont invités par le Premier ministre à répondre à la question suivante : « La démarche d’accompagnement en fin de vie est-elle adaptée aux différentes situations rencontrées ou doit-elle changer quelque chose d’affiché ? »
Lorsque vous mettez en cause une décision qui touche l’ensemble de la communauté et qui doit être établie dans l’intérêt public, il ne s’agit pas d’exprimer votre opinion personnelle qui reflète vos craintes et se fonde sur vos croyances ou vos affiliations, c’est votre expérience. Tout cela est important, bien sûr, et nous savons qu’il existe des divisions sur ce sujet. Ces sections traitent de ce que le patient est en droit d’attendre de l’institution médicale. Ils dépendent aussi de la manière dont les professionnels de santé appréhendent leurs objectifs et intègrent ou non dans la prise en charge le consentement et l’encadrement de l’aide au suicide, si celle-ci prend la forme d’une euthanasie (les soignants administrent une substance létale au patient), d’une aide au suicide (ils prescrivent des substances à avaler) ou se limitent à délivrer, après examen, une ordonnance laissant au patient le choix d’ingérer ou non le produit (comme dans le cas du Death With Dignity Act édicté en 1997 par l’Etat de l’Oregon, USA) .
Cependant, ce ne sont pas les raisons qui justifient ces positions différentes sur lesquelles j’insiste. Il est important d’expliquer les arguments contre chacun des camps. Cependant, lorsque nous légiférons, il s’agit de surmonter nos différences pour trouver un accord basé sur le consensus qui n’est pas un compromis dont personne ne se satisfait ou le statu quo, mais une décision qui nous permet d’avancer. Cela, il faut étudier la loi actuelle, pour reconnaître, en l’occurrence, les progrès réalisés par la loi du 22 avril 2005 puis la loi Claeys-Leonetti (2016). On peut alors se demander si ce processus législatif n’a pas laissé certaines questions sans réponse. Si tel est le cas, il faut voir comment y répondre en opprimant le sujet, c’est-à-dire ce qu’il est légal de faire, ce qui ne l’est pas, et les raisons.
Dans le passé, j’ai exprimé un certain optimisme quant à l’ouverture clinique du suicide [1]. Cependant, début 2014, je me suis rendu compte que la loi de Leonetti (2005) laissait une question ouverte qui resurgira bientôt et devrait être investiguée[2]. Quant à la loi de 2016, elle ne répond pas aux personnes qui sont au stade terminal ou au stade précoce d’une maladie grave et incurable, qui ne veulent pas recevoir de soins palliatifs ou qui ne veulent pas, et ne veulent utiliser ni l’un ni l’autre. . profonde inconscience jusqu’à la mort. Certains patients ne souhaitent pas attendre pour pouvoir bénéficier d’une anesthésie profonde continue qui est administrée quelques jours avant la fin de vie naturelle. Quelle est la réponse à ces personnes qui demandent une aide médicale pour mourir tout en évitant de passer à une solution violente ou douloureuse (poison, immunité) ou d’émigrer en Suisse ? J’ai déjà répondu qu’il n’y a aucun argument contre ceux qui sont dans cette situation. Il est donc devenu nécessaire de définir les modalités de cette aide médicale à mourir. Une attention est également nécessaire pour se protéger contre la loi qui vient de l’insensibilité des patients avec des demandes persistantes de mort. Si l’on n’élimine aucun dialogue, on risque en effet de laisser le champ libre à ceux qui demandent l’ouverture du droit au suicide assisté ou à l’euthanasie s’étendant aux malades de la vie, aux schizophrènes, aux personnes âgées et à tous ceux qui sont affaiblis par la maladie et qu’il est facile d’amener au besoin de la mort. Enfin, une des questions à se poser est de savoir s’il existe un risque de confusion de genre lorsque le suicide assisté et l’euthanasie sont pratiqués par les soignants là où ils prodiguent des soins.
A mon avis, une modification de la loi qui ouvre la possibilité à certains patients de bénéficier d’une assistance médicale à la mort est possible, si elle est présentée en dernier recours, et non comme l’expression du « droit » à mourir dignement. voire la liberté. C’est le choix, finalement très rare, de quelqu’un qui est au premier stade ou au dernier stade de la maladie et, sachant que ses jours sont là, il ne veut pas mourir de déshydratation ou préfère passer un peu, vite. d’une manière moins difficile pour lui et son entourage. Personne ne peut prédire comment il réagira à sa mort imminente ou prédire les douleurs qu’il éprouvera. On parle de fin de vie, mais il y a des fins de vie, qui sont toutes différentes parce que les gens sont uniques, mais aussi parce que les pathologies posent des problèmes spécifiques et évoluent de manière différente.
Cette longue introduction sert à clarifier deux choses. Premièrement, nous ne devons pas être dans l’opinion ou pas soutenus par nos convictions ou la représentation concrète du bien si nous voulons créer l’intérêt général ou, au contraire, décider d’une loi qui ne nuit pas aux soignants et aux citoyens. Parmi ces citoyens, il y a ceux qui, comme moi, se méfient d’une communauté de suicide assisté et de privation de droits comme solution financière rapide aux soins inadéquats. Cependant, ils connaissent aussi les patients qui ont des demandes constantes de mort qui ne sont pas écoutées.
Cependant, il est important d’éviter les amalgames et même les comparaisons, comme celle qui est souvent faite entre l’avortement et l’aide médicale à la mort. La législation pro-avortement répondait initialement à un problème de santé publique visant à restreindre l’interruption volontaire de grossesse et à protéger les femmes des conséquences sanitaires associées aux avortements clandestins. La question de l’aide médicale à mourir est différente, car s’il est vrai que certaines demandes d’euthanasie et d’aide au suicide émanent de personnes malades ou mourantes dans des circonstances tragiques et s’il est possible d’envisager des demandes régulières, nous ne le pouvons pas. dire qu’en général, l’ouverture de l’aide médicale à mourir est la solution pour bien mourir.
En outre, il convient de rappeler le rôle des lois, qui ne peuvent modifier l’exercice du jugement moral dans la situation, qui est au cœur de la détermination de l’accord de santé et de soins. Des lois réglementent les pratiques et visent à éviter les abus de pouvoir et les dérives. Mais ils ne peuvent prédire toutes les situations et ne peuvent modifier le dialogue entre le patient et l’équipe soignante. Enfin, quand on fait des lois, on ne peut pas se passer de l’histoire des lois. A cet égard, la comparaison entre la dépénalisation de l’obligation d’euthanasie pour les patients en urgence en Belgique au début des années 2000 et le système législatif français n’est pertinente que dans une certaine mesure. En raison de la loi Leonetti et du modèle de limitation et d’arrêt des traitements actifs (LATA), le législateur a posé le problème de la limitation et de l’arrêt des traitements des personnes qui ne peuvent exprimer leur volonté. Par conséquent, toute modification du système juridique doit tenir compte de la structure antérieure et conduire à une définition claire du sujet en indiquant le type de patients que l’aide médicale à mourir pourrait concerner dans le cas où elle serait approuvée et réglementée par la loi. . .
Deuxièmement, il est important de considérer le contexte général, qui renvoie au comportement de chaque pays, mais aussi à l’époque ou à l’esprit de l’époque qui imprègne partout, les hôpitaux, les urnes, les centres de vaccination, etc. les rues. Certaines des revendications au nom de la liberté sont l’expression d’une frustration, car ils n’écoutent pas les responsables gouvernementaux ou n’ont pas d’endroit pour parler et sensibiliser. Ils sont parfois porteurs de demandes qui témoignent du manque de confiance envers les représentants de l’administration et donc envers les corps professionnels auxquels l’institution est liée (médecins, scientifiques, experts, etc.). Cette situation est bonne pour ceux qui se réapproprient les sujets sociaux communs et dépassent le clivage droite/gauche (comme dans les questions dites bioéthiques) pour diviser la société.
En revanche, le législateur pense sagement à sortir de la réflexion et à avoir un esprit constructif. Pour déterminer si la loi actuelle est en train de changer, deux questions doivent être posées. La première consiste à demander ce qui affecterait la possibilité d’ouvrir l’aide médicale aux mourants et à ceux qui ne le souhaitent pas. La deuxième question porte sur les modalités que peut prendre cette aide médicale à mourir si elle est approuvée. Doit-elle impliquer les soignants et, si oui, dans quelles conditions, avec quelles limites ou restrictions ? Mais d’abord, quelle est la réponse aux patients avec des demandes constantes de mort ?
Conclusion
Comme pour toutes les questions sensibles qui nécessitent un traitement ad hoc, cela nécessite également que chacun soit ouvert, se documente et fonde sa compréhension sur les autres. C’est en conjuguant nos capacités que nous pourrons aboutir à des propositions qui ne déchirent pas le tissu social, ne détruisent pas le sens des institutions et ne contredisent pas les valeurs et principes que nous affirmons par ailleurs. La justice n’est pas la somme des intérêts, mais la pierre angulaire de la société. Il ne faut pas non plus confondre avec ce que l’on veut pour soi car, pour vivre ensemble et avoir le droit, il faut négocier, parvenir à des « accords sur l’origine des conflits ». Chaque discussion, chaque prise de position, chaque opinion doit être l’occasion d’être modelé pour retrouver un environnement apaisé, nécessaire pour délibérer avec sagesse et légiférer sur ces questions difficiles. Sur le même sujet : Exposition aux insectes des enfants ou des bébés : les meilleures mesures préventives et curatives. Enfin, force est de reconnaître que personne ne peut savoir à l’avance comment il réagira s’il est aux premiers stades d’une maladie incurable et si la fin de vie est lente et douloureuse. Par conséquent, pour bien consulter, la vraie sagesse doit nous permettre d’apprendre une sagesse choquante, qui nous enseigne à ne pas nous fier aux faits que nous sommes maintenant et à nous abstenir de les défendre sérieusement.
[1] Corine Pelluchon, Indépendance brisée. Bioéthique et philosophie, Paris, P.U.F., 2009, « Quadrige », 2014.
[2] Voir le texte et l’article de Terra Nova de 2014 « Comment conseiller en fin de vie et aider activement à mourir ? », p. 12-30, Cités, N°66, mai 2016, Fin de vie, éthique du soin et situations limites, édité par C. Pelluchon. « Déterminer les enjeux des soins de fin de vie et de l’aide à mourir », Cairn International, Dossier mensuel, 2019. http://corine-pelluchon.fr/wp-content/uploads/2019/03/E_CITE_066_00151–1.pdf