En Creuse, ce médecin spécialiste des musiciens a des patients qui viennent de toute la France

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Guitariste et pianiste, le Dr Gougam connaît ses classiques en matière de maladies dont souffrent les musiciens. A Guéret, où il travaille, on vient le voir de toute la France. Car la médecine de l’art n’est pas encore très répandue.

Comment ce médecin est-il devenu un spécialiste des musiciens ? Je suis chirurgien orthopédiste mais aussi musicien amateur, guitariste classique et pianiste. A un moment, j’ai vu des musiciens, perturbés par la douleur, l’inconfort, et l’idée m’est venue de faire un diplôme européen de médecine de l’art, un cursus de deux ans avec des musiciens et des professionnels du salut.

Pourquoi cette médecine de l’art est-elle si peu connue ? Il existe depuis près de trente ans. Il faut savoir que les musiciens sont abandonnés depuis très très longtemps.

Pourquoi, en ce qui concerne les danseurs, existe-t-il encore cette culture de la souffrance ? Oui, il fallait jouer dans la douleur. J’ai longtemps eu des amis concertistes qui me disaient que c’était normal d’avoir des douleurs, des tendinopathies… Un musicien c’est un peu comme un athlète : il faut souffrir pour être le meilleur. Mais il y a une trentaine d’années, le professeur Raoul Tubiana a commencé à s’intéresser aux musiciens.

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C’était une course d’obstacles. Il est venu avec un kinésithérapeute au conservatoire et a dit au professeur : « Peut-être modifier ceci et cela, cette posture… ».

Il a fallu des années et des années pour que les musiciens eux-mêmes prennent conscience de toutes les pathologies dont ils pouvaient souffrir.

Lorsque vous avez lancé vos consultations, aviez-vous des musiciens qui sont venus tout de suite ? A l’hôpital Saint-Junien (Haute-Vienne), où j’avais créé un service d’orthopédie, j’ai lancé des consultations de musiciens en 2007. J’ai eu des gens tout de suite parce que je les connaissais. J’ai pris soin d’une harpiste professionnelle qui souffrait d’une véritable dystonie du pouce. Elle a été traitée avec de la toxine botulique. Comme je suis musicien, j’ai aussi travaillé avec l’école de musique d’Ambazac et, de fil en aiguille, j’ai rencontré Frantz Doré, le directeur général de l’Opéra de Limoges.

D’où ces consultations à l’Opéra. Mais il n’y a pas que ça. En effet. Je suis le référent médical et chirurgical de ces musiciens professionnels. Nous venons de reprendre les consultations à l’Opéra mais je suis aussi là en cas d’urgence.

Un musicien est blessé ou a un problème ORL, Frantz m’appelle et me dit : « Thierry, peux-tu prendre rendez-vous avec un ORL en urgence ? ».

J’ai un réseau sain de praticiens dans la région auxquels je peux faire appel pour cela. Et pas seulement pour les musiciens d’Opéra : un jour, j’ai eu une soprano de Paris qui avait un sérieux problème d’enrouement dans la voix, j’ai pu avoir rendez-vous avec elle dans la journée.

Vous êtes peu nombreux en France. Recevez-vous des musiciens de partout ? Nous sommes une dizaine je crois. Oui, je vois régulièrement des musiciens car il y a ce côté urgent, curatif dont je parlais, mais il y a aussi des consultations simples comme celles que je fais à l’opéra ou à la Clinique de la Marche. Les trois quarts des musiciens ont une pathologie, c’est énorme !

Il faut savoir que les musiciens subissent des traitements médicaux depuis très, très longtemps. Certains, par exemple, ont opéré pour rien ! Comme le canal carpien par exemple. Ils vont voir un chirurgien régulier, font un électromyogramme et opèrent. J’avais un guitariste classique donc il s’est fait opérer pour rien. C’était un problème de posture, il avait toujours son coude sur ses cuisses….

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Il suffit de travailler la posture et le syndrome carpien peut disparaître pour de bon ! C’est le problème de ce vagabond médical : les musiciens auront droit à de nombreux examens, opérations, rééducation mais sans diagnostic.

Cependant, tout ne peut pas être résolu en changeant de posture, n’est-ce pas ? Quelles sont les maladies les plus courantes chez les musiciens ? Il y a d’abord tout ce qui est dû au travail : des tendinopathies au coude, à la main, voire au pied pour les batteurs et les percussionnistes. Elle est localisée donc il y a un traitement médical spécifique, éventuellement des séances de kinésithérapie, des infiltrations.

J’ai eu le cas d’un jeune violoniste qui voulait affronter un grand concert de Tchaïkovski : il travaille sept, huit heures par jour et du coup il ne peut plus jouer. Dès qu’il a pris son outil, c’était trop douloureux. Je n’ai pas pu jouer pendant un an !

Ce qui se passe, c’est que les musiciens travaillent beaucoup avec leurs mains et leurs avant-bras. Mais pour tenir un instrument, ils s’aident aussi, pas forcément, avec leur ceinture scapulaire où il y a des muscles qu’ils ne connaissent pas ! C’est à nous de les sensibiliser avec la kinésithérapie. Apprendre à travailler les épaules pour lutter contre ce surmenage des membres supérieurs.

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Ensuite, tu vois aussi tout ce qui est le syndrome du canal carpien : canal carpien, compression du nerf ulnaire… Courbure cervicale, déstabilisation de l’épaule, hyperlaxité aussi : un avantage au début pour les musiciens d’avoir un son très très doux. Mais le vieux hyperlax mauvais. C’est comme une ballerine : les articulations ne sont pas faites pour faire le grand écart.

Existe-t-il des maladies encore plus graves dont un musicien ne peut pas se remettre ? Dystonie fonctionnelle. Dans la population générale, c’est un cas pour 100 000. Chez les musiciens, c’est le cas de 30 000 ! Cela peut arriver assez soudainement. Il y a de grands concertistes qui, en jouant, se disent : « Il s’est passé quelque chose ».

Ou ça vient petit à petit, ça peut évoluer sur deux, trois ans et les musiciens, sans crier gare, compensent. Au moment où nous les récupérerons, il sera peut-être trop tard. Il faut beaucoup de rééducation, sans jouer : il faut reprogrammer toute la main ! Il y a quelques années, une chaîne de télévision a fait un reportage sur mon travail et après cela, j’ai eu beaucoup de personnes dystoniques de toute la France qui sont venues me voir. Dont un jeune étudiant qui écrivait beaucoup et souffrait de dystonie. On l’appelle aussi la crampe de l’écrivain, un terme que nous n’aimons pas car la dystonie est exceptionnellement douloureuse.

Pour certains musiciens qui en souffrent, on peut les accompagner pendant deux, trois ans, mais certains ne retrouveront jamais leur niveau initial.

Y a-t-il des musiciens célèbres qui en ont souffert, sans que personne ne le sache étant donné le tabou de la maladie ? Puis Fleischer, dans les années 80, a osé dire qu’il ne pouvait plus se produire en concert en raison d’une dystonie fonctionnelle. Et puis il y a Schumann, un cas typique de dystonique. Sa mère voulait qu’il joue beaucoup du piano, sept, huit heures par jour. A l’âge de 20 ans, il a commencé à développer un truc étrange au majeur, des contractions involontaires… Il a été soigné à l’époque par de nombreux traitements : électrothérapie, bains de sang, boîte à cigares (pour immobiliser le doigt).

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C’est pourquoi il privilégie la composition : à un moment donné, se dit-il, il lui a même composé une belle toccata, sans utiliser l’annulaire !

Je dis que la dystonie est vraiment sournoise car un guitariste, par exemple, ne la ressentira que sur l’instrument, pas s’il prend un balai pour jouer sur une manche de guitare ! Il y a aussi ceux qui n’auront de dystonie que dans une seule échelle, descendante par exemple.

Lorsque vous devez opérer un musicien, avez-vous encore plus de pression que pour un patient moyen à cause de l’enjeu ? C’est son outil de travail… Le traitement dans le cadre de la traumatologie, une fracture par exemple, est indispensable comme pour tout patient.

Il y a aussi toutes ces maladies qui peuvent survenir chez les musiciens et qui nécessitent des opérations très méticuleuses. La maladie de Dupuytren par exemple : un type de fibrose qui se développe dans la main. On l’appelle aussi la maladie de Viking, car elle est génétique surtout dans les pays nordiques.

J’ai opéré un contrebassiste de Guéret : il faut faire très attention car on risque de s’abîmer un nerf en opérant. Nous avons également opéré en cas de rhizarthrose – la maladie des tricoteuses – d’arthrose entre le trapèze et le premier métacarpien. Un violoniste, s’il est opéré au doigt, a besoin d’une précision de 1 à 2 mm.

« Douleur soudaine à la main : je ne pouvais plus jouer »

« C’était comme un choc électrique. Douleur soudaine à la main : je ne pouvais plus bouger ma bague. Guitariste depuis trente ans, Nicolas Houari s’est retrouvé secoué de la nuit. Impossible de jouer avec cette douleur. C’est son kinésithérapeute de Guéret, Serge Ducleroir, qui lui conseille d’aller voir le docteur Gougam, qui vient d’arriver à la clinique des Marches.

« Lorsque je suis arrivé pour la première fois, il m’a expliqué qu’il était lui-même musicien. Très à l’écoute. Puis il m’a demandé de revenir avec mon instrument et a immédiatement détecté une mauvaise posture. Sur ses conseils, je suis allé consulter un kinésithérapeute à Paris, à la clinique des musiciens, Isabelle Campion. Des musiciens viennent du monde entier pour le voir ! Je ne l’ai vu que deux fois. Elle m’a dit : « Si tu fais ce que je te dis, remonte dans le train et rejoue !  » « .

Qu’il a fait. « J’ai pris mon mal en patience et j’ai réappris à jouer : il fallait juste que je change de posture. Avant, je jouais toujours l’épaule baissée, je ne me tenais pas droit. Aujourd’hui, je ne joue plus debout et toujours dans le position de guitariste classique. De tout cela, j’ai aussi fait un album et un spectacle.  » Un simple changement de posture a permis à ce musicien de pouvoir à nouveau jouer de la guitare sans douleur.

« C’est une grande victoire », sourit le Dr Gougam. Ici, c’était juste un problème de posture de tout le membre supérieur. Il a compensé, compensé jusqu’à ce que le couperet tombe et qu’il ne puisse plus jouer. Mon rôle était uniquement de faire le bon diagnostic et de le diriger vers la personne compétente. « Seul ? Le guitariste de la Creuse ne résume pas ainsi le rôle joué par le médecin dans sa convalescence : « La façon dont on est pris en charge est primordiale. Dès votre arrivée, nous vous écoutons, même si vous n’êtes qu’un musicien amateur. Nous faisons un diagnostic et surtout nous cherchons des solutions ».

Propos recueillis par Séverine Perrier