Réponses avec Regina et Lucie, qui ont toutes deux quitté leur emploi pour se lancer dans la vente de vêtements d’occasion.
A l’heure où la slow fashion et autres modes de consommation responsable se consolident chaque jour dans la société, les friperies en ligne ou dans la rue se multiplient. Si certains choisissent des applications comme Vinted, Vestiaire Collective ou Depop pour revendre des pièces d’occasion, d’autres exercent leur esprit entrepreneurial en ouvrant leur propre boutique de revente. C’est le cas de Lucie, une ancienne agente de communication, et de Regina, qui a œuvré dans le domaine de l’événementiel, et qui se sont lancées toutes les deux dans un nouveau défi l’an dernier. Lucie consacre désormais son temps à sa boutique en ligne de pièces vintage, tandis que Regina a choisi d’ouvrir un dépôt-vente physique dans le 18e arrondissement de Paris. Tous deux racontent à l’ANCRÉ comment ils se sont fait un nom sur ce marché en plein essor.
ANCRE : Parlez-nous de la naissance de vos vêtements. Qu’est-ce qui a motivé chacun d’entre vous à lancer sa propre friperie ?
Regina, fondatrice de YALLÄ (magasin physique) : Enfant, j’accompagnais mon père pour vendre des vêtements sur les marchés parisiens, après l’arrivée de mes parents en France à la fin des années 80 du textile, et du commerce, et je me disais toujours que quelqu’un un jour j’aurais ma propre boutique, « en dur ». Juste avant le premier confinement, j’ai négocié un départ de mon ancienne boîte. Consommatrice de seconde main depuis plus de 10 ans, j’ai connu le temps où l’on mentait à son entourage, où l’on allait s’habiller dans une friperie, même si les vêtements étaient stylés… Adulte, j’ai enfin voulu pour ouvrir ça. magasin dont je rêvais étant enfant, lui apportant aujourd’hui ce bénéfice social et environnemental vital. Au final, j’ai créé la boutique que j’aurais aimé visiter quand j’étais plus jeune, un lieu inclusif et intemporel, représentatif de l’époque dans laquelle nous vivons.
Lucie, fondatrice de Phénomène Rare (eshop) : J’avais cette envie d’entrer dans la vente de vêtements vintage depuis des années. Il y a 10 ans, c’était un peu un rêve que je croyais irréalisable. L’entrepreneuriat me faisait peur. Et puis j’étais jeune et j’avais peu confiance en moi. J’ai travaillé pour des marques de mode dans le marketing. J’ai beaucoup appris mais cela n’avait aucun sens pour moi. La surproduction de vêtements est quelque chose qui a commencé à me mettre mal à l’aise, je n’étais plus en harmonie avec les entreprises pour lesquelles je travaillais. J’avais aussi ce besoin d’exercer un travail passionnel où je serais libre d’exprimer ma créativité. Après 5 ans en affaires, j’ai décidé de faire un grand voyage. C’était l’occasion de me déconnecter complètement et de réfléchir à ce que je pouvais faire. La suite, on la connaît : crise du Covid, retour calamiteux en France, confinement à la campagne avec mes parents. Confinement, que je n’ai pas trop mal vécu, car ma friperie en ligne Phénomène Rare est née quelques mois plus tard.
Les clients me disent souvent que grâce à ma sélection et à mon marketing, cela leur fait regarder des marques qu’ils auraient normalement complètement ignorées. Là je me dis que je fais bien mon travail, car c’est le but.
Pourquoi un magasin physique pour toi Regina ? Et Lucie, pourquoi une boutique en ligne à vos côtés ?
Régina : Pour plusieurs raisons. La première c’est qu’après avoir congelé mes pains avec mon père sur les marchés, je me suis dit qu’avoir des murs serait cool ! La seconde, c’est que j’ai conçu ce lieu comme un lieu de vie, au-delà d’un lieu de vente, et c’est plutôt réussi : on organise des événements, on boit un café avec le voisinage, on discute avec les petites grand-mères du quartier, on anime le la vie à l’intérieur. le quartier est super, et le quartier nous le rend. Le troisième, et pas des moindres, c’est que j’ai voulu aller à l’encontre des transmissions, et souligner la volonté d’acheter « localement ». Acheter d’occasion c’est bien, mais autant aller jusqu’au bout et éviter de se faire expédier un top à 2€ depuis les USA sur Vinted…
Lucie : La période « post-première vague de Covid » a considérablement changé le marché du prêt-à-porter. Ouvrir une boutique plutôt qu’une offre en ligne était bien trop risqué pour moi financièrement et à l’époque je revenais de voyage donc je n’avais pas du tout les moyens. Online ne demande pas beaucoup d’investissement au départ donc c’est assez rassurant si ça ne marche pas. Par contre, ce qui est plus difficile, car il y a beaucoup de concurrence, c’est de réussir à toucher vos clients et à soutenir votre entreprise.
Comment créez-vous votre garde-robe ?
Regina : Sur les 100 % de pièces que j’ai en magasin, 80 % sont des consignations, en d’autres termes, elles sont apportées par des clients/fournisseurs. Les 20% restants, je les chasse. On peut faire la distinction entre une friperie et un dépôt-vente ; en effet, dans les friperies (Guerrisol, Fripshop, etc.) il y a souvent des cartons de vêtements non triés qui finissent sur les portants, du fait du renouvellement global de la boutique chaque semaine. En consignation, les pièces sont sélectionnées une à une, et proviennent pour la plupart de collections récentes, et de l’environnement local. Pour ma part, je choisis mes pièces selon des critères esthétiques plus qu’une marque, selon mon oeil, les goûts de mes clients, les tendances, la saison, ce que je veux voir dans ma boutique. C’est pourquoi le terme « curation » convient bien : les galeristes choisissent des œuvres pour leur galerie, je choisis des vêtements pour ma boutique. Chez Yallä, les clients me disent souvent que grâce à ma sélection et à mon merchandising, cela leur fait regarder des marques qu’ils auraient normalement complètement ignorées. Là je me dis que je fais bien mon travail, car c’est le but.
Lucie : Chaque friperie aura son truc, ses sources d’approvisionnement préférées. Je choisis tout moi-même pièce par pièce. Au bout d’un moment, en voyant d’énormes quantités de vêtements, l’œil s’aiguise, tout comme le toucher. J’arrive à dater les vêtements par l’étiquette, la coupe ou la matière. C’est un travail stylistique car il faut savoir se projeter, savoir à quoi on pourra associer la pièce pour la mettre en valeur et mieux la vendre. Pour moi, une pièce intéressante doit être un coup de cœur en termes de coupe, de matière et de couleur. Si elle ne rencontre pas les trois, je me repose. Parce que je préfère faire en qualité qu’en quantité. C’est mon parti pris et je ne critique pas les friperies qui font le contraire, mais c’est ce qui fait que les gens viennent me voir.
Vous devez déterminer ce qui se vendra par rapport à ce qui ne se vendra pas. Chaque pièce est un pari.
Quelle est la réalité de votre travail quotidien ?
Regina : Il y a beaucoup de social. La gestion humaine est une grande partie de mon travail : expliquer la seconde main, mon choix, le pourquoi et le comment, les prix, et surtout répéter (souvent) comment fonctionne un dépôt. A cela s’ajoutent le conseil, l’écoute, l’accompagnement client propre au métier. Je le dis souvent : je ne suis pas vendeur, mais vendeur, c’est très différent. Lorsque vous aimez votre travail, les gens le ressentent et vice versa. Il y a aussi des missions essentielles pour gérer un magasin, choisir des pièces, montage administratif et financier, communication, développement, etc. Je pourrais travailler 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, car il y a tellement de choses à penser et à faire, mais la plupart du temps, c’est amusant.
Lucie : Mon quotidien c’est de passer la serpillière et passer des heures et des heures à fouiller dans des casiers, parfois même des tas de vêtements emmêlés pour en sortir juste la moelle, enfin de préférence ce qui me paraîtra intéressant et suffisamment moderne pour être porté aujourd’hui. Ensuite, il faut tout laver, parfois coudre un bouton ou deux, prendre des photos. Mise en forme pour les réseaux sociaux, publication, puis réponse aux questions des clients car je ne vends pas sur un site internet mais directement sur Instagram. Il faut ensuite préparer les colis, les poster ou prendre rendez-vous pour une remise en main propre. Mon quotidien c’est surtout les réseaux sociaux en fait, il faut proposer un univers, partager un bout de sa vie, les coulisses, ça prend beaucoup de temps, mais j’adore ça !
Aujourd’hui la seconde main se démocratise et le marché de la seconde main devient de plus en plus concurrentiel. Comment gère-t-on cette épidémie ?
Regina : A mon avis il n’y a pas de concurrence, chaque propriétaire de dépôt-vente/friperie a son œil, sa touche, son univers. Je trouve ça cool qu’il y ait de plus en plus d’acteurs d’occasion, ça se démocratise et c’est le plus important ! Ce qui me dérange le plus, ce sont les marques de mode qui veulent racheter leur conscience verte en proposant des produits d’occasion… Mes clients viennent à Yallä parce qu’ils aiment le magasin, l’ambiance, le choix, etc. Parce que Yallä est un dépôt-vente, il participe activement à l’économie locale et sociale, et de nombreux clients sont également déposants. J’y travaille enfin. J’ai voulu donner un nouveau souffle au jeu du dépôt-vente, car à Paris c’est soit du dépôt-vente de luxe, soit du dépôt-vente de marques spécifiques. Chez Yallä, il est cosmopolite, à l’image du quartier dans lequel se situe le magasin, le 18ème arrondissement de Paris. Une combinaison de luxe et d’abordabilité, pour créer votre style.
Lucie : C’est vrai qu’il y a de plus en plus de monde dans le créneau mais je veux dire tant mieux ! Si cela peut aider les gens à trouver plus facilement une alternative à la mode rapide, tant mieux. J’ai aussi lancé ma friperie pour des raisons éthiques et environnementales. Et puis chaque frugalité a son style, son style. Les gens viennent chez moi pour s’amuser & coloré, un peu sexy et toujours moderne. Un mélange que l’on trouve rarement ailleurs. C’est ainsi que j’arrive à me démarquer, en étant toujours très à l’écoute des tendances actuelles, en laissant mes envies s’exprimer. Acheter chez moi c’est acheter un petit morceau de mon univers car j’aime chacune des pièces que je choisis.
Quels problèmes rencontrez-vous régulièrement ?
Regina : Je ne sais pas si c’est vraiment un problème, mais j’ai souvent la remarque « pour la frugalité ça coûte cher », et là j’essaie d’être prof et d’expliquer ça de ça : c’est un dépôt-vente, et là j’essaie être prof et expliquer de a : c C’est un dépôt-vente, je ne sais pas. pas un magasin secondaire, donc je dois payer des déposants qui n’accepteraient pas que leur Chanel soit vendu 50 euros et deux : je suis une petite entreprise, je choisis les pièces une à une. En plus mes prix sont très bas par rapport à ce que j’ai vu ailleurs… ça me dérange parfois car le raccourci devient vite entre les friperies (charity shops) et les ventes en consignation.
Lucie : Évidemment quand on chasse, on ne sait jamais ce qu’on va rencontrer et comme j’ai un style assez marqué, je suis rentrée quasiment bredouille. Plus j’y vais, moins ça m’arrive car je commence à avoir mes petites adresses préférées, mais quand ça arrive c’est frustrant car il y a beaucoup de temps perdu. Il y a aussi un risque d’acheter trop d’actions et de ne pas pouvoir les revendre pour X ou Y raisons certains mois. Une vague de covid, ou d’inflation peut vraiment affecter les ventes, mais comme dans tous les commerces « inutiles » j’imagine. Je fais donc toujours très attention à bien gérer mes achats, il faut savoir ce qui se vendra versus ce qui ne se vendra pas. Chaque pièce est un pari. En connaissant bien vos clients, la saisonnalité, en ayant un certain talent sur les futures tendances, vous pouvez réduire ce risque.
Arrivera-t-on à la saturation du marché des vêtements d’occasion ?
Regina : Je pense que c’est plus le marché du vintage spécifique qui est en voie de saturation, plutôt que la frugalité. On observe bon nombre de revendeurs spécialisés dans le vintage, faisant des antiquités dans des friperies / brocantes / vide-greniers, puis les revendant à des prix pas toujours compréhensibles. Les pop-ups se multiplient, et vous pouvez finir par vous y perdre. Quant à la trotteuse, le champ des possibles est ouvert. J’espère que la seconde main prendra un jour le dessus sur la super fast fashion, peut-être même deviendra-t-elle la norme. Ensuite, pas de seconde main sans production anarchique… le problème est ailleurs, mais je ne vous dirai pas ça…
Lucie : C’est une question que l’on se pose souvent entre collègues de friperie. Il est assez difficile de répondre à cela. Certains pensent que le marché du vintage est menacé dans le sens où il n’est pas infini et qu’il sera de plus en plus difficile de trouver des vêtements de qualité de plus de 20 ans. En revanche, la seconde main (vêtements courants) est une ressource quasi infinie car les quantités produites sont pharaoniques. Il peut être nécessaire de se tourner vers la trotteuse. Je ne sais pas. Je n’en suis pas trop contente, en fait, car ce que j’aime, ce sont les « beaux » vêtements, bien faits. Par contre, je pense que la mode est une rotation et que les vêtements passent de main en main, de génération en génération. Une robe vintage vendue cet été peut à nouveau se retrouver dans un vide-grenier si la personne veut s’en séparer. Alors personnellement ça ne me préoccupe pas pour le moment, et en plus j’ai toujours mille idées, je saurai m’adapter… ou alors je ferai tout autre chose d’ici là, qui sait ?
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