La crise sanitaire a confirmé les méfaits de la délocalisation et prouvé la dépendance à la France. Mais les entreprises ont choisi, récemment ou depuis longtemps, de relancer l’industrie textile française et de promouvoir son aura économique et sociale. voici votre parcours
Certaines marques choisissent de revenir en France tandis que d’autres y sont toujours ancrées car pour elles la production sur le territoire est perçue comme une opportunité de croissance. Cette perception est amplifiée par les récentes « success stories » de Slip Français et 1083, deux marques qui ont choisi de produire en France pour créer des emplois et limiter la surproduction.
Cette tendance au retour du made in France est motivée. Pour ces entreprises, le choix du circuit court a de multiples impacts : il permet de redynamiser les territoires -revaloriser les savoir-faire textiles locaux fragilisés par les délocalisations antérieures ou de les reconstruire lorsqu’ils ont disparu-, mais aussi de sauver et de créer des emplois. Douze marques, certaines très jeunes, d’autres plus anciennes, nous expliquent les motivations qui les ont poussées à se développer en France. Rencontré.
Sommaire
Routine, Raidlight : fabriquer localement
Les marques horlogères de routine et les marques de vêtements outdoor Raidlight privilégient les réseaux locaux et nous expliquent ce choix. Sur le même sujet : Pour Lubrizol, le nouveau savoir-faire en feu à Rouen va….
Depuis 2018, Florian Chosson, fondateur de la marque de montres Routine en 2016, traverse l’arc jurassien entre Doubs et Jura à la recherche d’un partenaire pour délocaliser la fabrication des cadrans horlogers en Franche-Comté. Cette dernière a disparu dans les années 2000, du fait de la fuite des volumes de production vers l’Asie. Florian Chosson, qui a trouvé en 2020 un associé, un fabricant d’aiguilles de montres basé à Morteau depuis 1907, nous explique : « Il y a beaucoup de parallèles entre les deux savoir-faire. Lors de mes conversations avec les différents partenaires que j’ai pu rencontrer, je me suis rendu compte que certaines machines servaient à la fois à la fabrication des aiguilles et des cadrans, c’est comme ça que j’ai eu l’idée de parler à Gilles Buliard, gérant de l’entreprise La Pratique, qui se bat depuis 50 ans pour maintenir leur usine de Morteau, Gilles » Il m’a accompagné très rapidement pour trouver des partenaires jusqu’au prototype puis lancer ensemble une chaîne de production. C’est une opportunité incroyable de s’appuyer techniquement sur une structure locale bien implantée, qui dispose également d’un savoir-faire exceptionnel. » .
Montage d’un cadran sur une montre Routine, 2021 (TONY QUERREC)
Même démarche pour la marque outdoor Raidlight installée depuis 2011 à Saint-Pierre de Chartreuse. Elle vient de relancer son atelier de confection français, créant ses propres produits dédiés aux coureurs de montagne. L’atelier est composé d’une trentaine de machines et équipements textiles qui sont gérés par 10 salariés et couturières, en charge de créer, coudre et assembler 30 000 produits par an (sacs, shorts, ceintures…). Benoit Laval, président fondateur de Raidlight, avait hâte de relancer son atelier made in France, depuis son retour dans une entreprise indépendante en août 2020 : « C’est un choix délibéré et volontaire de produire une pièce en France afin d’offrir au client l’option d’achat made in France ». Ces produits haut de gamme nécessitent des technologies de pointe (découpe laser, personnalisation par sublimation, machines à coudre, thermocollage) pour rendre les produits encore plus légers et plus performants. Raidlight a choisi des matériaux en polyester recyclé plus éco-responsables pour les vêtements et shorts produits dans l’atelier et son bâtiment dispose de 300 mètres carrés de production photovoltaïque.
Atelier de la marque Raidlight installé à Saint-Pierre de Chartreuse, mars 2021 (Raidlight)
Un Si Beau Pas, Belleville : sauver des savoir-faire
Choisir de localiser la production en France permet aux entreprises de conserver leurs connaissances techniques entre les mains d’ateliers ou d’usines proches de leur lieu d’implantation. A voir aussi : Sorties BO : musique de film disponible le 5 novembre 2022. C’est ce qu’ont fait la marque de chaussures Un Si Beau Pas et les costumes sur mesure Belleville.
Un Si Beau Pas rend hommage aux artisans cordonniers. Cette marque de chaussures femme 100% cuir, faites main et personnalisables, sont fabriquées à la demande, il n’y a donc pas de stock ni de gaspillage de matières. En 2017, lors de la création de l’entreprise, Antoine Fauqueur se tourne vers Romans-sur-Isère, qui vient de connaître deux décennies de crise. Pour faire revivre la capitale européenne de la chaussure, il confie la production à deux ateliers d’artisans chausseurs (L’Atelier de Mr Paul et L’Atelier de l’Association Archer). Le groupe Archer, qui regroupe des ateliers de réinsertion, est également à l’origine de la Cité de la Chaussure en Romans, qui regroupe des ateliers de production et un magasin de chaussures multimarques made in Romans. « Depuis le début de l’aventure Un Si Beau Pas, j’avais en tête de faire des chaussures haut de gamme à la main. J’ai donc dû me tourner vers les meilleurs cordonniers et les meilleurs ateliers. Il m’est vite apparu évident que j’allais alors trouver mon bonheur à Romans-sur-Isère, LE berceau de la chaussure européenne. Et puis, participer au développement économique local m’est apparu comme un devoir à une époque où les délocalisations étaient plus la norme que « l’inverse… », explique Antoine Fauqueur .
Gilles Attaf a lancé sa marque Belleville à l’automne 2020, la dernière marque de costumes pour hommes sur mesure à Limoges. Cet homme d’affaires se bat depuis des années pour maintenir un savoir-faire industriel sur le territoire. La marque fait fabriquer ses costumes par France Manufacture, l’une des dernières usines françaises à conserver ce savoir-faire en France. Parallèlement, Gilles Attaf co-fonde avec Emmanuel Deleau et Laurent Moisson les Forces Françaises de l’Industrie, un club d’hommes d’affaires qui défendent les valeurs de l’industrie française : « Pendant longtemps nous n’étions qu’une poignée à avertir contre les dangers du démantèlement de notre tissu productif, passant parfois pour originel. Loin d’être perçue comme une catastrophe, la désindustrialisation était plutôt vécue comme un progrès, une étape de transition vers une économie tertiaire. Les usines, ces sales et polluantes, allaient partir nos régions et plus personne en France ne devrait subir la condition d’ouvrier. La perception réductionniste de l’industrie ainsi qu’une vision utopique d’une économie basée sur les services et les professions intellectuelles semblent avoir participé à l’élimination de nos industriels.
La marque de vêtements Belleville est fabriquée par l’usine française France Manufacture (Belleville)
Bracq, Cotélac : racheter des machines
L’entreprise de dentelle Bracq et l’entreprise de prêt-à-porter Cotélac ont opté pour l’acquisition de machines anciennes afin de conserver un savoir-faire spécifique. Ceci pourrez vous intéresser : Matthieu Lardière, nouveau directeur du CAUE 84.
Créée en 1889, l’entreprise de dentelle de Bracq en Caudry dans le nord de la France fabrique des dentelles d’exception. En 1960, la maison rachète une entreprise de dentelles de Calais et ses quatre métiers. En 2012, Julien Bracq rejoint l’entreprise familiale lorsque la maison acquiert les trois derniers métiers LyonDentelle au monde. « Nous avons délocalisé la dernière usine de dentelles à Lyon. Ces métiers Bobin-Jacquard ont été restaurés puis remis en service. Notre souci est toujours d’améliorer notre parc machines », explique-t-il. La marque LyonLace perpétue la volonté d’allier innovation et préservation du patrimoine.
Fondée en 1993 par Pierre Pernod et Raphaëlle Cavalli, Cotélac a son siège social à Ambérieu-en-Bugey dans l’Ain, où se trouvent l’atelier de confection et l’entrepôt de tissus avec un mini centre de blanchisserie. En 1996, l’entreprise récupère quatre plissés offerts par un atelier lyonnais. Après avoir restauré ces vieilles machines, la marque leur a découvert de nouvelles possibilités : c’est ainsi que Cotélac s’est fait connaître pour ses plis « remasterisés ». Dès lors, ils seront sans cesse réinventés, renouvelés, enrichis de fantasmes : « Ces machines d’une autre époque peuvent en effet transformer le polyester en rayons de soleil, en petits plis serrés, fins ou arrondis, en microplis bullés… de magnifiques contractions rendues possibles par l’écrasement du tissu entre deux feuilles de papier. Ces plis conservent éternellement le souvenir de la forme et chaque saison aura désormais son relief particulier ». Si la marque a un temps délocalisé sa fabrication, depuis 2013 les collections capsules et les lignes artistiques sont fabriquées dans son atelier français qui réalise toutes les étapes de fabrication : découpe, assemblage, impression des motifs.
Le Coq Sportif, Le Parapluie de Cherbourg : former pour transmettre
La transmission des savoir-faire fait également partie des stratégies d’entreprise. Les marques Le Coq Sportif et Le Parapluie de Cherbourg l’ont bien compris.
Le Coq Sportif, fondé en 1882 à Romilly-sur-Seine dans l’Aube, a su renouer avec son savoir-faire originel en faisant revivre son usine historique. Après avoir délocalisé sa production, la marque revient en 2010 et rachète une ancienne usine pour en faire un centre de recherche et développement. « Depuis 2012, c’est redevenu un atelier de production où aujourd’hui 100% des matières textiles sont tissées et teintes en France. Seule une partie de l’assemblage se fait au Maroc. -comment et la marque a dû faire revenir des gens pour en former d’autres dans les différents métiers : découpage, prototypage, assemblage, métiers de la vente », précise Jean-Philippe Sionneau, responsable de la communication. La délocalisation a sauvé des entreprises comme France Teinture à Troyes et dans l’Aube Tricotage à Romilly-sur-Seine. La marque travaille également avec la Compagnie Française de la Chaussure et une autre entreprise d’Angers apportant son savoir-faire à la fabrication de chaussons.
Charles Yvon a repris la direction de Parapluie de Cherbourg en 2018, entreprise fondée par son père en 1986. L’entreprise porte le label Entreprise du Patrimoine Vivant, qui garantit la qualité du savoir-faire et de la fabrication. En janvier 2020, le modèle Antibourrasque a été sélectionné pour faire partie du Grand Salon Made in France à l’Élysée. Le savoir-faire est ancestral et s’enseigne directement dans l’usine car il n’y a pas d’école faîtière. Toutes les personnes qui y travaillent sont polyvalentes et sont prêtes à occuper tous les postes.
Réalisation à l’atelier de broderie sur Le Parapluie de Cherbourg, 2021 (Le Parapluie de Cherbourg)
Payote, Atelier Charentaises : créer des emplois
Produire en France génère des emplois, comme en témoignent les marques d’espadrilles Payote et Atelier Charentaises.
Payote est une marque d’espadrilles 100% made in France créée par Olivier Gelly en 2016. Fidèle à l’artisanat traditionnel, c’est dans l’atelier Megam, une petite manufacture traditionnelle qui existe depuis trois générations à Mauléon, capitale de la Soule au Pays Basque . – où les espadrilles sont fabriquées. En mars 2021, Payote a lancé son premier atelier de prototypage à Perpignan pour permettre à la marque de se concentrer sur les collaborations et les paires sur mesure tout en continuant à travailler avec l’atelier de Mauléon pour le reste de la collection. « Une partie de l’atelier prototype est opérationnelle mais nous attendons les autres machines pour le mois d’août. Pour l’instant, un seul chef d’atelier a été embauché, mais cet été nous continuerons à créer des emplois directs », précise Olivier Gelly.
A l’atelier de prototypage de Payote à Perpignan : le graphiste Bastien Martinez (derrière à gauche), un responsable HP Europe (en noir) et Olivier Gelly, fondateur de Payote (à droite), en 2021 (Payote)
Olivier Rondinaud (quatrième génération de chaussons depuis 1907) a repris les rênes de l’artisanat et de la Charente séculaire, accompagné de Michel Violleau. Ils ont sauvé le matériel de La manufacture charentaise, mise en liquidation judiciaire en 2019, ainsi que des emplois. L’Atelier Charentaises, basé à La Rochefoucauld, dans le berceau historique du chausson tartan, a ouvert en mai 2020. Un retour aux sources pour la production de ce chausson emblématique d’un département et un savoir-faire artisanal qui naît de ses cendres pour perpétuer la technique originelle de la couture et revenir avec son feutre tissé trame, réalisé par Jules Tournier, dernier lainier français. « Notre équipe de 13 personnes est composée de 11 personnes issues de la Manufacture charentaise », précise Olivier Rondinaud et ajoute « puisque nous avons embauché une personne en septembre 2020 et d’ici mai 2021 trois nouvelles personnes vont nous rejoindre. Elles viennent aussi de l’ancien usine.
Kaporal, Véja : favoriser la réinsertion
La production peut aussi se faire en combinant des actions sociales, comme la réinsertion. La marque de prêt-à-porter Kaporal et les sneakers Veja ont opté pour cette action.
Kaporal travaille avec l’Atelier 13 Atipik : c’est un atelier de confection et de réinsertion agréé par l’État made in Marseille. Son objectif est de permettre aux chômeurs rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières de bénéficier de contrats de travail. L’association propose de remobiliser et dynamiser ces personnes engagées dans un parcours d’insertion professionnelle par la mise en place de modalités d’accueil et d’accompagnement spécifiques. Pour Guillaume Ruby, directeur de la marque et de la communication : « Kaporal est une marque de denim marseillaise, ancrée dans son territoire. Une région qui, jusqu’au milieu des années 1980 et les vagues de délocalisations françaises, était un fief de la fabrication textile. Le choix des ateliers de recyclage avec Marseille et transférer une partie de leur production en France est un acte engagé, voire militant. C’est aussi donner un nouveau sens créatif et innovant au vêtement populaire, qui ne sera jamais anodin pour les nouvelles générations. »
En 2004, Veja a ouvert son premier entrepôt à l’Atelier Sans Frontières, qui était en charge de la plateforme logistique. ASF est une ONG d’insertion qui aide les personnes vulnérables à trouver un emploi et une situation sociale stable. Mais en grandissant, Veja s’est rendu compte qu’une plus grande équipe était nécessaire. La logistique est désormais gérée par Log’ins (Logistique et Insertion) qui appartient au même groupe qu’ASF et travaille également avec des personnes en situation d’exclusion et de handicap.
Entrepôt Véja à 30 km de Paris (Véja)