Guerre en Ukraine : « Nous sommes les serviteurs de l’histoire », l’analyse de l’auteur du film Eric Bouvet

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Comment vous êtes-vous lancé dans le photojournalisme ?

Alors pour la légende (rires), c’est avec la mission Apollo. J’avais 8 ans. Le choc visuel de ce petit écran de télévision en noir et blanc, un événement historique fort et cette courte phrase d’Armstrong… Tout cela a vraiment marqué mon enfance. Je ne dis pas que c’était une révélation à cet âge-là, mais je pense que c’est resté gravé dans ma mémoire. À l’école, j’étais bon en dessin, en histoire, en géographie et en sport. A part ça, il n’y avait rien de terrible. A l’école Estienne, je préparais un bac technique, que je n’avais pas. Je ne voulais pas me répéter. Alors je suis allé à l’armée pour le service militaire. J’étais très jeune. J’ai postulé pour être photographe dans la marine à Tahiti, mais j’ai été affecté à deux kilomètres de chez moi, dans l’armée comme serveur (rires). Le bonheur déguisé, car c’est là que j’ai rencontré Jean-Claude…

Comment vous êtes-vous lancé dans le photojournalisme ?

Alors pour la légende (rires), c’est avec la mission Apollo. J’avais 8 ans. Le choc visuel de ce petit écran de télévision en noir et blanc, un événement historique fort et cette courte phrase d’Armstrong… Tout cela a vraiment marqué mon enfance. Je ne dis pas que c’était une révélation à cet âge-là, mais je pense que c’est resté gravé dans ma mémoire. À l’école, j’étais bon en dessin, en histoire, en géographie et en sport. A part ça, il n’y avait rien de terrible. A l’école Estienne, je préparais un bac technique, que je n’avais pas. Je ne voulais pas me répéter. Alors je suis allé à l’armée pour le service militaire. J’étais très jeune. J’ai postulé pour être photographe dans la marine à Tahiti, mais j’ai été affecté à deux kilomètres de chez moi, dans l’armée comme serveur (rires). Chance déguisée, car j’y ai rencontré Jean-Claude Coutausse (photojournaliste, lauréat du prix Niépce 1993, ndlr), qui est devenu mon ami. En mai 1981, je me suis faufilé. Avec mon petit Nikon sur le ventre, je me suis dit : « Tiens, si je faisais l’arrivée de François Mitterrand. J’ai poussé la porte et j’ai crié « Presse ! Dépêche-toi! « Je me suis retrouvé dans la cour de l’Elysée avec tous les grands noms de l’époque. Et j’ai pensé, « Facile. » Je veux faire ça aussi. »

David Le Deodic / « Sud Ouest »

Comment as-tu procédé alors ?

J’ai lutté pendant un an et demi avec des éléments de droite à gauche en essayant de porter vers Gamma. Parallèlement, j’ai continué avec des petits boulots : contrôleur de wagons-lits, mineur de charbon, G.O. au Club Med… Il fallait gagner sa vie. C’était amusant en même temps et cela m’a permis de pratiquer des images côte à côte.

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Des photos avec lesquelles vous entrez dans l’agence Gamma ?

En fait non, c’est plus drôle. Je suis employé à cause du poste que m’a confié le directeur de l’agence sur le tournage du film érotique « Emmanuelle 4 ». C’est ainsi que j’ai rejoint l’agence Gamma. J’ai réalisé très vite que je parcourais le monde. C’était une décennie assez incroyable (les années 1980, ndlr). Nous étions une douzaine dans les zones de conflit. Il n’y avait pas beaucoup de concurrence. C’était une époque où l’on travaillait dans le cinéma, sans filet. Il fallait être un bon technicien. On nous a demandé d’être objectifs, de prendre des photos bien cadrées, claires et bien éclairées. Ce n’était pas très compliqué, mais c’était une école de merde en même temps. Quand j’avais seulement vingt ans, j’ai été envoyé en Afghanistan, tout seul, sans téléphone, sans ordinateur, sans internet.

Avez-vous eu fixateur de toute façon?

non. Tu te fais des amis avec des mecs sur place, tu sors avec eux, mais tu travailles seul. Je pars du principe que moins il y en a, moins il y a de problèmes, moins il y a de risques. Je prends des décisions moi-même. Je n’ai pas besoin de café pour me lancer le matin. Bien manger ou bien dormir sur le terrain est d’une importance secondaire. Vous pouvez vous en passer. Je sais que je rentre à Paris dans quinze jours.

Vous êtes allé en Ukraine pour la première fois en 2014, au Maïdan. Sous quelles conditions?

J’ai toujours eu beaucoup d’intuition. C’est alors que j’ai senti qu’il se réchauffait. J’en parle avec « Paris Match », qui compte m’y envoyer le surlendemain avec un journaliste. Je leur dis que je n’attendrai pas. Je pars en avion, j’arriverai le soir même. Le lendemain matin, au petit matin, je suis aux barricades du Maïdan. Je suis le seul photographe à couvrir les premières heures. C’est fou. Les gens meurent. Il n’y a rien d’excitant à voir la mort si proche et à penser : « Je l’ai encore raté. Il n’y a rien d’excitant à se faire projeter par une explosion ou à tirer quelqu’un et à lui dire : « Allez. Attendre ».

J’ai toujours eu peur. Je ne l’ai jamais caché, mais c’est une peur que j’essaie de garder dans mon ventre. Si ça va au cerveau, comme cela m’est arrivé en 1995 avec les commandos russes en Tchétchénie et en 1991 avec la famine en Somalie, on devient fou. Plus nous prenons de bouteilles au fil du temps, mieux nous devenons. C’est un travail extraordinaire qui laisse des traces mentales et physiques. Ce n’est pas par passion. C’est un véritable engagement.

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Avez-vous eu recours à l’autocensure sur le terrain ?

Je me suis beaucoup censuré. J’ai supposé que j’avais choisi d’être là moi-même, mais le public n’avait pas besoin de voir les horreurs que j’ai vues. Ce fut une grosse erreur. Il y a des photos que je regrette de ne pas avoir prises. Les faire sortir est une autre affaire. Au fil du temps, la société change, l’apparence aussi, et ces images pourraient être laissées à l’histoire, qui est mon grand passe-temps depuis Apollo 11. Nous sommes les serviteurs de l’histoire.

Comment vas-tu aujourd’hui?

Je n’ai plus aucun contact avec les journalistes. J’étais très mécontent car la chute a été dure. Une génération en chasse une autre. C’est aussi un fait qu’il y a beaucoup moins d’argent dans les services photo. Nous ne passons plus des semaines sur des articles comme avant. Aujourd’hui je travaille avec la subjectivité et ne voyage qu’à mes propres frais, comme récemment en Ukraine au début de la guerre.

Qu’est-ce qu’une bonne photo ?

Il doit exciter, faire sensation, questionner, interpeller au même titre qu’un texte ou qu’une image. A Pau, dans le cadre de l’exposition, il y a une photographie de cette femme dans une sorte de manteau de fourrure soutenant un homme. Je l’ai rencontrée dans le quartier pauvre d’Irpin, proche de la ligne de front, où les habitants ne peuvent s’échapper faute de ressources. Ils sont sous les bombardements. Et il y a cette femme qui est très forte, plus forte que les hommes qui l’entourent. C’est quelque chose qui marque. C’est une femme forte. J’ai encore des frissons.

Est-ce de votre dernier voyage en Ukraine ?

oui j’ai fait deux voyages de presque trois mois entre fin février, mars, avril et mai. J’étais à Kiev, Kharkiv, à la frontière russe, j’ai déménagé partout sauf dans le Donbass et le sud.

Des impressions par rapport à 2014 ?

N’a pas d’importance. 2014 a été une révolution en un seul endroit. C’est la guerre totale. Depuis, les Ukrainiens se sont européanisés. Ils ont ce désir d’être indépendants, d’être un pays souverain. Ils ont développé une haine de la Russie comme les Polonais, les Baltes… Nous, Français, ne réalisons pas la chance que nous avons de vivre dans une république.

« Eric Bouvet – Photographier la guerre ». Exposition à voir jusqu’au 10 décembre, Le Parvis Espace Culturel, centre commercial E. Leclerc Tempo, Pau. Entrée gratuite du lundi au samedi de 10h00 à 19h00. 05 59 80 80 89.