« Personne ne me dira jamais panier cou-couche ! » Une formule à la Jacques Peyrat. Frappé de sa voix de ténor depuis le bar. Avec ce ton martial d’ancien légionnaire. Lors d’un entretien dans Nice-Matin paru le 6 octobre 2007. Alors qu’il était encore sénateur-maire de Nice. Pas pour longtemps. L’UMP, le parti « raisonnable » de cet ancien Front national, a retiré sa candidature quelques semaines plus tard. Estrosi. « Un ami de trente ans », comme dirait Jacques Chirac. Peyrat crie à la « trahison », reprend le flambeau de la droite de la droite et refuse de se coucher. Il n’a qu’une obsession : « faire blanchir Estrosi » de ce fauteuil de maire de Nice conquis en 2008 après une élection fratricide.
Le symbole de cette fracture restera l’inauguration de la toute première ligne de tramway, et le face-à-face tendu entre les deux hommes lors de la coupure du ruban sur la place Masséna. Pourtant, Christian Estrosi le reconnaît : « Celui qui a décidé en 2007 de construire une ligne de tramway a eu une bonne idée ! Bien sûr, quinze ans plus tard. Le 18 novembre, lors d’une cérémonie anniversaire de la ligne 1. Une main tendue sur le quai Henri Sappia dont s’empare Jacques Peyrat. L’étreinte entre les deux frères ennemis marque, ce soir-là, la fin d’une longue guerre politique. L’ancien maire de Nice qui s’est même rendu aux vœux de l’actuel, le 7 janvier dernier, n’est pas dupe. « Avec Estrosi rien n’est gratuit », sourit malicieusement, interrogé sur cette soudaine réconciliation, Jacques Peyrat, « 91 ans et 3 mois ».
Pourquoi avez-vous enterré la hache de guerre avec Christian Estrosi ?
Christian Estrosi était autrefois un ami. J’ai même parachuté Christian avec moi, dans le même avion que mon fils Alain, qui est avocat. C’est sa volonté et seulement sa volonté de vouloir être maire de Nice qui a fait de nous des rivaux, des adversaires. Notre relation a mal tourné à partir de là. J’ai considéré, comme lui de son côté, au vu des événements et de ceux à venir que je redoute encore plus, que nous étions dans la même classe politique dite de droite. Et qu’il était donc ridicule de continuer cette guerre fratricide, alors que la gauche était en vérité notre irréductible adversaire.
Malgré cette trahison à l’époque ?
Chacun a sa nature. J’ai servi dans la Légion étrangère et j’ai commandé des hommes dont je ne partageais pas les idées puisque près de la moitié de ceux de ma section étaient des nazis et même quelques anciens Waffen-SS. Ainsi, nous pouvons vivre avec des êtres humains et ne pas partager leurs sentiments. Je ne partage pas tout une partie des orientations pour la ville de Nice que donne le nouveau maire Estrosi. Mais cela n’empêche pas le moment de mettre un terme à une diatribe et une dispute qui datait de nos affrontements politiques était venue.
Comment vous êtes-vous rapproché ?
C’est arrivé le jour où Estrosi a cessé de faire de vilaines déclarations à mon sujet. Quand il a cessé de considérer que j’étais mort et que je n’existais plus. Quand il a cessé de considérer que ce qui n’allait pas avec la ville et ses finances datait forcément de son prédécesseur… Eh bien, j’avais tendance à me souvenir un peu plus des bons moments que des mauvais. Je pense que lui aussi a parcouru un long chemin de son côté. Mais puisque rien n’est gratuit, peut-être surtout chez nous, je suppose que les prochaines élections y sont pour quelque chose. Mais je ne veux pas savoir…
Quel a été le déclencheur ?
A la fête des 15 ans du tram, il a parlé de moi… Il a déjà parlé de moi. Et qui plus est, sans mettre aucun qualificatif fâcheux devant le nom. Alors quand c’était mon tour de parler, j’ai fait la même chose. Et nous nous sommes serré la main. C’est en effet un symbole que cela se soit passé pendant les quinze ans de la ligne 1. Rappelons qu’à l’époque, personne n’en voulait, même dans les rangs des élus de ma majorité qui venaient récriminer ma porte. Mais le tram a tenu. Et quelque part, Christian Estrosi l’a poursuivi. Il a fait la ligne 2, même si je ne l’aurais pas fait là et dans la couleur qu’il a choisie. Il a aussi fait la coulée verte que j’avais initiée en déplaçant la gare routière construite par Jacques Médecin, dans la liste duquel se trouvait Christian Estrosi. Il a poursuivi une grande partie des évolutions que j’avais initiées. Même si je désapprouve la démolition de l’Acropole et du TNN. Pas seulement pour des raisons financières. Le plus grave pour moi n’est pas là : c’est que le théâtre et le palais des congrès ont contribué au développement du centre-ville qui se déplace vers la plaine varoise. Cela aura des conséquences que je redoute. A sa place, je n’aurais pas pris ce risque.
Vous avez des conceptions communes pour Nice, un passé commun, mais appartenez-vous toujours à la même famille politique ?
Non! Je resterai dans mes anciennes cravates. Nous avons beaucoup parlé sans chercher à comprendre ce qu’était vraiment le Front national. A l’époque, nous pressentions déjà les dangers de la mondialisation et de l’envahissement de notre pays, dont nous avons aujourd’hui la preuve. C’est un point sur lequel je sais que je ne serai pas d’accord avec M. Estrosi qui est d’émanation gaulliste. Comme Eric Ciotti d’ailleurs. Même si je leur prête, l’un comme l’autre, certaines qualités, pour moi ce qui me semble être le problème le plus préoccupant pour notre pays, c’est l’immigration.
Alors pourquoi se rapprocher de Christian Estrosi et pas d’Eric Ciotti qui est plus en phase avec vos idées ?
Ciotti Je lui serre la main. Je le connais bien. Il est plus politique que shaper. Christian a quelque peu abandonné, me semble-t-il, la politique politique pour se consacrer à la ville dont il est le maire. Je ne suis pas d’accord avec ces deux leaders sur la crise migratoire, ni avec le nouveau président de LR qui la dénonce, ni avec le maire de Nice qui ne la dénonce pas…
Vous n’avez pas viré de macroniste ?
Certainement pas! Je n’ai pas changé depuis mes 20 ans, depuis que je suis allé en Indochine pour défendre la France. Cela a toujours été ma priorité. J’ai perdu beaucoup de choses depuis mes 20 ans mais pas que.
Vous n’avez pas l’impression d’être un butin de guerre ?
Si! Cela peut se concevoir ainsi. J’étais moi-même à la recherche d’alliances quand j’ai voulu conquérir la ville. Je suis conscient. Et peut-être que même si j’étais à sa place, je ferais la même chose. Mais peu importe, nous venons du même foyer ardent de la nation. France. Chacun le voit à sa manière. Nous voulons tous la même chose, mais pas par les mêmes moyens.
Tout cela est peut-être dans la perspective des échéances électorales ?
Pas pour moi. Mon âge l’interdit. Je ne suis plus candidat à rien !
Vous pouvez toujours peser autrement…
Je n’exclus pas de le faire le moment venu. Mais je crois qu’il ne l’est pas. D’abord parce que les élections ne sont pas là, que les candidatures aux élections municipales ne sont pas déclarées et que je pense que 2023 nous réserve un certain nombre de bouleversements mondiaux, nationaux et régionaux. C’est donc trop tôt…
Et le moment venu, appellerez-vous à voter Estrosi ?
La question ne se pose pas pour le moment. Mais quand elle viendra, je serai encore obligé de penser à mes amis, mes propres amis, qui ne comprendraient pas… Et ne comprendraient probablement pas ce qui se passe en ce moment…