Javier Camarena de retour au Teatro Colón de Buenos Aires : interview

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Marta Huertas de Gebelin a récemment réalisé une passionnante interview de Javier Camarena pour le magazine uruguayen Sinfonica (*), lors de sa dernière visite au Teatro Colon de Buenos Aires. Nous publions cette interview dans la traduction du journaliste.

Originaire de Zurich, où il a longtemps vécu, mais est venu s’installer dans la ville andalouse de Malaga, Javier Camarena nous accueille chez lui (dans une vidéo via Meet). Souriez et détendez-vous pour être à la maison. « La recharge de ma batterie émotionnelle se fait ici, avec ma famille, avec mes enfants », révèle-t-il.

Standing ovations et bis à volonté

Le célèbre ténor mexicain, dont les nombreuses encos dans diverses productions des plus importantes maisons d’opéra du monde ont marqué l’histoire de l’opéra, s’est produit le 30 juillet au Teatro Colón de Buenos Aires, aux côtés de la soprano chilienne Alyson Rosales et du pianiste Angel Rodríguez. Quelques jours plus tard, avec une grande distribution – à part Javier Camarena, Nadine Sierra et Ambrogio Maestri – il y chante Nemorino de L’Elisir d’amore, sous la direction du maestro Evelino Pidò, sous la direction de l’espagnol Emilio Sagi. . Lors de trois représentations consécutives, il s’est offert le luxe d’un bis « Una furtiva lagrima ». Du jamais vu à Río de la Plata. Sacré meilleur chanteur masculin en 2021 aux International Opera Awards, Camarena fait partie des grands ténors lyriques légers régulièrement invités par les plus prestigieuses maisons d’opéra. Parmi les titres les plus emblématiques de ses vingt ans de carrière figurent La fille du régiment, Il Barbiere di Siviglia, L’italiana in Algeri, Don Pasquale, L’Elisir d’amore, I Puritani. A voir aussi : VIDÉO : Le danger de dormir à l’église – par le pasteur Léopold Hatungimana – Vie Chrétienne. Mais, récemment, son répertoire s’est enrichi de nouvelles œuvres : Lucia di Lammermoor, Il Pirata. Et dans la saison à venir, il abordera des rôles de ténors d’opéra tels que Des Grieux (Manon) et Alfredo (La Traviata). Sa discographie en studio et en direct comprend à la fois de la musique populaire mexicaine et du bel canto. Le triple CD de Bellini, Il Pirata, où il interprète le rôle-titre avec Marina Rebeka, a été récompensé cette année dans la catégorie « Opéra » par les International Classic Music Awards. Juste à temps pour notre rencontre virtuelle, Camarena instaure, dès le départ, une ambiance conviviale et détendue, familiarité comprise. Ainsi commence, après les salutations obligées, cette interview qui précédait ses présentations dans le grand Colisée argentin :

Marta Huertas de Gebelin – Commençons par ta formation de chanteuse d’opéra. Dans vos biographies, vous dites que vous avez étudié le génie mécanique et électrique à l’université et qu’un jour vous avez décidé de vous consacrer au chant lyrique. Qu’est-ce qui vous a poussé à franchir ce pas décisif ?

Javier Camarena – Tout a commencé au collège. Au Mexique, il existe des écoles secondaires techniques où, en plus des matières de base, les élèves sont formés aux métiers. Je voulais faire de l’informatique, mais à la fin j’ai eu l’électricité. Et comme je viens d’une famille d’électriciens… Plus tard, au lycée (c’était un bac technologique), j’ai suivi l’atelier d’électromécanique.

J’avançais avec inertie, mais en réalité, dès que j’ai commencé ma formation universitaire d’ingénieur, j’ai su que ce n’était pas pour moi. J’ai dit à mes parents. Mais ils avaient une devise : « Tu as commencé, donc tu dois finir. » Alors j’ai tenu pendant deux ans, puis je me suis dit : « Ce n’est pas ce que je veux, ce n’est pas ma vocation. Je ne suis pas content et je ne me vois pas travailler là-dedans ! (des rires). J’ai pris la décision d’aller à l’encontre de la volonté de mes parents et de défendre ce que je voulais faire de ma vie. Et je pense que c’était la meilleure décision que j’aie jamais prise !

MHG – Comment est né votre intérêt pour le chant lyrique ? Comment se sont déroulées ces années de découverte de l’opéra ?

JC – Je voulais étudier la musique, piano ou guitare que je jouais à l’oreille. J’ai commencé par la guitare. Je connaissais les accords et le nom de chaque accord. De la guitare, je suis passé au piano, et c’est comme ça que j’ai appris à jouer ! (rires) J’adorais ça, mais j’avais déjà 19 ans et j’étais trop vieux pour m’inscrire à l’un de ces cours. J’ai donc postulé pour des cours de chant car je remplissais toutes les conditions nécessaires : l’âge, la plus importante. Je me suis dit : « Je chante juste, je suis dans une chorale, je la dirige, je chante dans des groupes de rock… » Et, à ma grande surprise, j’ai aimé ça !

Pour compléter votre question, en troisième année, le professeur d’italien nous a dit qu’il fallait non seulement apprendre la langue, mais aussi chanter en italien. Il nous a emmenés à l’auditorium de la faculté de musique de l’Université de Veracruz et nous a passé un disque laser de Plácido Domingo et Eva Marton… Turandot au Met. C’était mon éveil à l’opéra.

MHG – Peu de temps après vos débuts au Mexique, vous avez été invité à rejoindre l’International Opera Studio de Zurich. C’est là que tout a commencé. Mais quand avez-vous sauté le pas vers une grande carrière internationale ? Qu’est-ce qui vous a aidé ?

JC – Prendre l’avion, comme on dit au Mexique (rires francs). Voyons… Ma carrière a débuté deux ans avant la Suisse, au Mexique. J’ai fait mes débuts professionnels avec La fille du régiment au Palacio de Bellas Artes (NDLR : à Mexico, 2004), puis j’ai participé à plusieurs productions en tant que soliste principal, ainsi qu’à de nombreux concerts. Mes débuts internationaux ont eu lieu en Suisse, en 2007, avec L’italiana à Alger. Puis il y a eu une période d’apprentissage tout au long de la vie, de croissance tout au long de la vie, de construction d’un vaste répertoire et de travail dans de nombreuses productions d’opéra. Je chantais déjà dans les principaux théâtres européens, comme à Vienne, ainsi que dans de nombreux théâtres en Allemagne… J’ai fait mes débuts à l’Opéra de Paris en 2008. Tout était très vertigineux !

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MHG – Par « grand saut », je voulais aussi dire gagner de gros prix comme, disons, « Meilleur chanteur masculin de l’année ».

JC – Le prix dont vous parlez m’a été décerné l’année dernière. C’est pourquoi j’ai dit « vol ». Dans cette carrière, ce n’est pas seulement un « grand saut », mais de nombreuses années au cours desquelles, bien fait, bien vécu, avec professionnalisme, avec dévouement, plus qu’un grand saut, nous arrivons à un très bon palier dans un escalier qui nous avons grimpé pas à pas et que nous continuerons à grimper.

Je suis très reconnaissante d’avoir reçu ce prix pour mon travail de l’année précédant la pandémie au cours de laquelle j’ai eu de nombreux engagements, comme The Girl from the Regiment at the Met, qui a été montré dans le monde entier avec un grand succès ( NDLR : opéra diffusé en direct) La même chose s’est produite quelques mois plus tard à Londres. J’ai aussi fait mes débuts dans Il pirata qui a été très bien accueilli par la critique madrilène. Ce fut une année de travail acharné – et aussi beaucoup de sacrifices -, qui a été récompensée par ce prix. Je suis très reconnaissant et je le prends comme un encouragement à aller de l’avant et à continuer à faire ce que j’aime tant : chanter !

MHG – Vous avez évoqué la pandémie. Cette rupture forcée a-t-elle entraîné un changement dans la façon dont vous concevez votre carrière, voire votre vie ?

JC – Oui, bien sûr ! Le risque, si on peut l’appeler ainsi, de cette carrière, c’est que parfois, même si on s’arrête, on continue d’avancer avec inertie. Cela demande beaucoup de sacrifices, beaucoup de temps loin de chez soi, loin de sa famille, beaucoup de stress, beaucoup de fatigue, non seulement physique, mais aussi émotionnelle. Ça n’en a pas l’air, mais c’est vrai.

Cet arrêt forcé dû à la pandémie m’a poussé à me recentrer sur mes priorités dans la vie : travailler pour vivre et non vivre pour travailler. Cela m’a fait réfléchir sérieusement à ce que signifie faire ce que je fais, non seulement pour moi, mais aussi pour ma famille. Quand j’ai commencé une carrière internationale, ma fille avait 3 ans. Au début de la pandémie, elle avait déjà 16 ans. Et pour beaucoup de choses importantes, je ne pouvais pas être avec elle… beaucoup de ses anniversaires, des choses liées à l’école, des projets que je voulais partager avec elle. Mon fils est né ici (NDLR : à Zurich). Il a maintenant 12 ans, et plus ou moins le même.

Ce n’est pas que je pars et que je ne sois pas présent du tout, car je reste toujours en contact grâce à la technologie. Mais j’ai beaucoup revalorisé le « face à face » pendant la pandémie. Aujourd’hui, je prends toujours ma carrière très au sérieux et je travaille très dur, mais ma priorité est encore une fois ma famille. Car avec la carrière vient aussi la fatigue, non seulement physique, mais aussi émotionnelle. Ma batterie émotionnelle se recharge ici, avec ma famille, avec mes enfants. Être avec eux me fait du bien : je me sens en paix, calme, et cela se reflète dans mon travail. Cette réponse a pris sa place dans mon quotidien. C’est comme ça que je veux mener ma carrière dans les années à venir… ou ce qu’il en reste (rires).

MHG – Puisque nous parlons de votre carrière, j’ai remarqué, par exemple dans votre programme de récitals au Teatro Colón, que vous cherchiez à élargir votre répertoire vers des rôles de ténor purement lyriques. Est-ce le cas ou est-ce juste pour ce concert ?

JC – Oui, c’est vrai. Je ne laisse pas le bel canto de côté. En fait, les Verdi que nous avons inclus dans ce concert sont toujours de style bel canto. Mais l’année prochaine, je ferai mes débuts dans Manon. Quant à La Traviata, c’est un opéra que j’avais envie de chanter. Je ferai mes débuts à Monte-Carlo. Lors de mon précédent concert au Teatro Colón, j’ai présenté l’air principal d’Alfredo, avec sa cabaletta. A Colon nous chanterons en duo avec Alyson Rosales.

MHG – Avec un emploi du temps aussi chargé, quand avez-vous le temps d’étudier de nouveaux rôles ? Parce que vous n’apprenez pas seulement les notes, vous devez faire mûrir les personnages.

JC – Les concerts et récitals sont de belles opportunités. J’en profite pour tester les morceaux. En Espagne, au début de l’année, j’ai chanté l’autre air de ténor de Manon, le « Rêve ». En mars, aux États-Unis, j’ai commencé à chanter « Ah flee, sweet image ».

Je profite de ces concerts pour mûrir, intérioriser un personnage, lui donner plus de sens, tant musicalement qu’en terme d’interprétation. Pour le reste, je dois chercher des moments où je peux apprendre, mémoriser et répéter, mettre de nouvelles oeuvres « en gola » (NDLR : apprendre à résoudre des problèmes techniques, s’approprier le travail vocal). Il y en a certains que je sais quoi faire simplement en regardant les partitions et en les étudiant. Je suis en affaires depuis près de vingt ans! (rires), Mais, pour d’autres, il y a des intervalles étranges, des sauts mélodiques parfois pas très nets, et je dois trouver des moments pour m’entraîner.

MHG – Vous avez souligné à plusieurs reprises au cours de cette conversation que vous vous produisiez régulièrement dans des opéras ainsi que dans de nombreux concerts et récitals. Y a-t-il une émission dont vous vous souvenez particulièrement ?

JC – Il y en a tellement ! Peut-être dix ! L’un des meilleurs concerts de ma vie a eu lieu à Colon il y a cinq ans, avec Maestro (Enrique) Diemecke et l’Orchestre Philharmonique. C’était une nuit magique! Dès que je suis monté sur scène, je me suis senti recueilli par le public, avec des applaudissements nourris, très chaleureux, très touchés. J’étais heureux et ce sentiment de gratitude a accompagné tout le concert jusqu’à la dernière note. C’était une soirée super spéciale. Je ne pense pas avoir jamais mieux chanté.

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MHG – A quelle occasion vous a-t-on demandé de répéter une mélodie pour la première fois ?

JC – En 2005, au Palacio de Bellas Artes, j’ai chanté La fille du régiment. C’était presque mes débuts et c’était très excitant ! Le deuxième rappel a également eu lieu dans ce théâtre, à l’occasion du Barbiere di Siviglia, en 2012. Mais les encos qui ont fait le plus de bruit étaient, bien sûr, ceux du Met. Et puis, je pense à ceux du Teatro Real (NDLR : de Madrid).

MHG – Qu’avez-vous ressenti alors ?

JC – C’est un sentiment de mission accomplie dans le sens où la musique a le pouvoir immense, et en même temps si doux, de toucher une corde sensible dans l’esprit, comme aucune autre forme d’art ne le peut. Pouvoir voir, de face, que l’opéra est un genre qui continue d’émouvoir le public aujourd’hui est un moment de grande réussite professionnelle.

MHG – Parlons maintenant de L’Elisir d’amour. J’aimerais savoir qui est Nemorino pour vous.

JC – Contrairement à ce qu’on pourrait penser, L’Elisir d’amour est l’un des opéras les moins chantés de ma carrière. La première fois, je l’ai chanté en espagnol. Et en espagnol mexicain ! (rires) … Puis dans un grand théâtre, en 2010 à Vienne, puis dans d’autres productions, et à Barcelone en 2012 et encore à Vienne. La dernière fois, c’était l’année dernière au Festival Donizetti à Bergame. Toutes ces productions étaient très différentes dans leur conception globale. A Vienne, par exemple, dans un séjour très traditionnel, Nemorino était un village. C’est l’image habituelle de Nemorino. Mais au Festival Donizetti… je ne sais même pas comment le dire, les personnages étaient comme des marionnettes, et notre mouvement, notre interprétation était très « gestuelle » à cet effet. Il y a des réalisateurs qui ont leur propre idée, mais chaque artiste a aussi la sienne. A Colon, nous aurons l’occasion de voir une mise en scène d’un des grands metteurs en scène de l’opéra contemporain (NDLR : Emilio Sagi). Je le dis ouvertement parce que c’est quelqu’un que j’admire. J’ai eu l’opportunité de travailler avec lui dans deux productions : Il Pirata et I Puritani in Real Madrid. C’est un metteur en scène qui sait parfaitement ce qu’il veut retirer de sa proposition scénique, mais qui sait aussi travailler en équipe et respecter la vision du chanteur. La seule chose qui est invariable, pour moi, à propos de Nemorino, c’est qu’il est totalement et complètement innocent. C’est un grand garçon, pas un idiot. Ce qui lui manque, c’est la connaissance de beaucoup de choses sur la vie en société. Par exemple, la première fois que j’ai bu du vin – c’était un bon vin rouge – (rires), j’avais plus de 20 ans. Si avant, quand j’avais 18 ou 19 ans, quelqu’un m’avait dit : « Ceci est un élixir et il faut le boire plusieurs fois par jour, comme un médicament », j’aurais pensé ! Parce que je n’avais aucune idée de ce qu’était le vin. Nemorino est avant tout un personnage très innocent. Son seul but est de gagner l’amour d’Adina. Il l’admire, la respecte, se soucie de son bonheur, c’est pourquoi le célèbre air « Una furtiva lagrima » est un moment de grande joie : il a enfin conquis l’amour d’Adina, il peut mourir en paix. Pourtant, musicalement, ce n’est pas un air comme celui de Tonio dans La Fille du régiment. C’est un air de grande contemplation. Il est harmonisé dans une tonalité mineure qui, pour ce style et cette époque, était associée à un sentiment de tristesse, de dépression. Mais quand Nemorino la chante, il est très content ! La tonalité passe du mineur au majeur lorsqu’il dit : « Oh mon Dieu, je pourrais mourir parce qu’elle m’aime. » Ce jeu de Donizetti me fait penser qu’il voulait exprimer que l’amour implique des sacrifices, et que parfois on souffre par amour. Tout cela forme la personnalité que je veux donner à Nemorino.

MHG – Comment est Javier Camarena quand il ne chante pas ? Avez-vous des loisirs ?

JC – Comme je suis souvent sur la route, loin de chez moi, une des choses que j’apprécie le plus est d’être chez moi, avec ma famille. Alors, pour qu’ils manquent moins, je cuisine, je cuisine surtout de la nourriture mexicaine.

Les loisirs ? Je aime les jeux vidéo. Je n’ai plus beaucoup de temps pour ça, mais je les apprécie toujours car ils me déconnectent du monde, du stress.

Récemment, à cause de la pandémie, j’ai emporté quelque chose que j’aimais beaucoup quand j’étais enfant. De 7 à 10 ans, j’ai pris des cours de peinture, mais je n’ai jamais réussi à peindre à l’huile. J’étais comme, « Un jour, je le ferai! » « . Et, avec la pandémie, le jour est venu. J’ai découvert que j’adorais ça! Pour la plupart, cela a remplacé les jeux vidéo. Mais la peinture à l’huile, c’est quand je suis à la maison. Je vais acheter des cahiers et colorier crayons pour que je puisse les emmener en voyage.

MHG – Quel genre de peinture vous intéresse, figuratif ou abstrait ?

JC – Je n’ai pas fait beaucoup de tableaux. Mais j’aime beaucoup dessiner des animaux. Si vous allez sur mon Instagram, il y a trois des peintures que j’ai faites. J’aime vraiment bien ça!

MHG – Avez-vous une routine avant un show ?

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