Jean-Paul Scheuren : « Le logement ne tombe pas du ciel »

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Jean-Paul Scheuren, président de la Chambre de l’immobilier, insiste pour qu’une alliance entre promoteurs privés et publics soit enfin conclue. L’État seul n’aurait pas les moyens ni le savoir-faire nécessaires pour mener une offensive sur le marché du logement.

Kinnisvarakoda rassemble plus de 280 spécialistes de l’immobilier sous son toit. Les agents et les promoteurs réitèrent qu’ils sont prêts à travailler plus étroitement avec l’État pour résoudre la crise du logement. Jean-Paul Scheuren, président de la Chambre immobilière, ne voit toujours pas la volonté du public d’entrer dans un partenariat étroit. Cependant, il existe plusieurs façons d’avancer.

L’économie et donc le secteur immobilier sont actuellement affectés par plusieurs facteurs. Quel est l’impact de l’inflation et de la hausse des taux d’intérêt sur le marché ?

Jean-Paul Scheuren : La hausse des taux d’intérêt et l’inflation des prix de la construction, également dues à la raréfaction des matériaux, placent le marché immobilier dans une position d’attente non seulement en termes de demande, mais aussi en termes d’offre. On estime que 30 % de maisons en moins arriveront sur le marché. La question se pose de leur effet sur les prix.

Au deuxième trimestre, le Statec a de nouveau annoncé une hausse de prix de 11,5% en 12 mois. La plateforme Athome.lu affiche une croissance de 2,4% au troisième trimestre. Alors peut-on parler de silence du marché ?

Le projet de loi annoncé doit être analysé plus en détail. Le prix est-il déterminé par des facteurs où nous anticipons les choses ou des facteurs où nous nous rattrapons ? Néanmoins, force est de constater que l’attentisme actuel se manifeste. Il est même probable que la demande souffrira davantage car les gens ne veulent pas abandonner le plan. L’impact est moins important pour le parc immobilier existant. Cependant, nous notons qu’un certain nombre de maîtres d’œuvre ont mis des projets en attente. La pression qui existe déjà sur le marché va donc encore augmenter. Les prix ne bougent donc pas. Il est même possible que les prix continuent d’augmenter, surtout pour les maisons déjà achevées.

Alors, comment expliquez-vous le ralentissement des prix décrit ci-dessus ?

Les prix annoncés sur les portails Internet peuvent être un indicateur de la tendance dominante du marché. Cependant, ce paramètre n’est pas suffisant pour évaluer comment le prix évoluera finalement. Pour mieux comprendre l’évolution, il est nécessaire d’observer le marché sur le long terme. Il suffit qu’une année plus de maisons soient vendues à Esch-sur-Alzette et l’année suivante il y ait plus de ventes au Luxembourg. Cela explique les fluctuations. De plus, en continuant à mettre autant l’accent sur les fluctuations de prix, on risque un effet d’auto-inflammation qui pénalise à terme toutes les régions du pays, alors que l’origine des hausses de prix est limitée, par exemple au Luxembourg. Il y a d’autres critères qui me semblent plus importants.

Quels sont les critères auxquels vous faites référence ?

Il serait très important de savoir combien de maisons invendues sont sur le marché. Il faudrait aussi savoir qui sont les acheteurs. On en parle toujours beaucoup, mais on ne connaît même pas le nombre de fonds étrangers qui investissent au Luxembourg pour acquérir des résidences entières à la place d’investisseurs privés locaux.

Le pays en fait-il assez pour lutter contre ces tendances négatives ?

Ma critique du camp politique est que dans la situation actuelle où l’offre est en baisse, il faudrait davantage de soutien pour cette même offre pour la maintenir à un niveau élevé. Donner des subventions ne suffit pas. Si l’on veut s’assurer que les prix se stabilisent au moins, l’Etat doit accélérer l’octroi des permis. C’est un serpent de mer Et même si les choses se sont améliorées, il est grand temps qu’on se regarde dans les yeux pour enfin réduire la charge administrative. Et puis, c’est peut-être le moment de trouver des modèles de financement alternatifs qui permettent aux primo-accédants de gravir la première marche de leur cheminement vers l’accession à la propriété. Ils sont les plus touchés par la hausse des taux d’intérêt. C’est un fait que la main publique ne peut garantir la construction de ces habitations.

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Le Premier ministre Xavier Bettel a annoncé dans son communiqué que « nous avons besoin d’un partenariat stratégique à long terme entre promoteurs publics et privés ».

(Il coupe) Je n’ai pas entendu ce souhait dans son discours. J’ai compris que le premier ministre soutient que l’État est le seul à pouvoir agir dans la création de logements abordables. Ce serait maintenant un très, très bon moment pour enfin développer ensemble des logements abordables. Le secteur privé a mis toute une série de projets en attente. Nous cherchons donc des moyens de sortir ces projets des tiroirs et de faire ces aménagements. Toute unité non construite aujourd’hui peut ne pas être construite l’année prochaine. Donc le manque d’inventaire augmente encore plus, ce qui est dramatique. Il faut éviter d’envoyer au marché le message qu’on met derrière le volant des gens qui veulent investir dans des logements locatifs abordables.

Faites-vous référence à la réforme du droit du bail qui fait déjà un sacré buzz dans le secteur ?

Je veux dire beaucoup plus la limitation supplémentaire de l’amortissement accéléré. On pourrait imaginer qu’au lieu de n’accorder cet avantage fiscal que deux fois dans une vie, une charge spéciale de 3% TTC serait imposée aux propriétaires louant un logement moins cher, en dessous de la future limite de 3% du capital investi. . Il y a 10 ans, nous proposions au pays la professionnalisation des investissements sur l’exemple de la France dans le Livre Vert.

Pouvez-vous expliquer plus en détail le principe de cette brochure verte ?

Les Français ont investi plus de 400 milliards d’euros dans cette brochure en échange d’avantages fiscaux. Chaque année, des milliards d’euros s’ajoutent à cette manne, qui servent à créer des logements abordables. La BCEE pourrait jouer le rôle de médiateur au Luxembourg. Des personnes sont ensuite sélectionnées qui peuvent mettre en œuvre des projets à l’aide d’un prêt financé par le Livre vert. L’amortissement spécial, ou ce modèle de livre vert, est un moyen d’attirer des investissements dans le secteur. Il n’y a rien d’intrinsèquement mauvais à investir. Au Luxembourg, cependant, l’image que l’investisseur est un méchant est cultivée. Mais si ces investisseurs disparaissent, qui construira des logements ? Dans tous les cas, ils ne tomberont pas du ciel.

Il faudrait entre 8 et 10 milliards d’euros uniquement pour combler le retard accumulé au niveau du logement abordable

Vous continuez donc à insister pour que les investisseurs privés soient enfin considérés à leur juste valeur lorsqu’il s’agit de créer des logements abordables ? Lire aussi : Qu’est-ce que la crypto-monnaie ? Explications, Fonctionnement, Perspectives.

Au lieu de pointer du doigt le secteur privé, il conviendrait de réfléchir enfin à comment nous pouvons agir ensemble et pour le bien de tous. Ce que nous devons vraiment éviter, c’est de suspendre les projets de construction. Le financement reste un problème. En créant un système de livre vert, des fonds seraient générés sans que l’État n’ait à intervenir financièrement. Le ministère du Logement investira 200 millions d’euros l’an prochain. Cependant, selon mes calculs, il faudrait 8 à 10 milliards d’euros pour rembourser l’arriéré de logements abordables. Il nous manque 30 000 à 40 000 logements de ce type.

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Vous dénoncez également les difficultés administratives avant la mise en place du projet. Le ministre du Logement veut relativiser. Quelle est ta position?

Les promoteurs essaient chaque jour de faire avancer les procédures d’autorisation. La difficulté consiste à concilier les points de vue de plusieurs parties et à trouver des solutions pour surmonter les obstacles qui se présentent. Ce n’est pas mal en soi. Notre objectif n’est certainement pas d’écraser aveuglément la faune et la flore. Au Ban de Gasperich, il a fallu 30 ans pour que tous les permis soient accordés au promoteur. Les travaux réalisés en cinq ans sont bien plus importants que ce que l’Etat a pu réaliser à Belval en 20 ans. Enfin, il faut savoir de quoi on parle.

Le pays dispose de terrains pour la construction de potentiellement deux millions de mètres carrés de logements. Il essaie constamment de nous priver de terres supplémentaires afin d’augmenter encore son stock. Plutôt que de continuer ainsi, je réitère qu’il vaudrait mieux s’unir pour développer enfin des logements sur cet important potentiel foncier. Si l’État continue à agir seul, il ne fera que faire fuir les investisseurs privés, ce qui est la clé de la perte de compétences et de savoir-faire pour avancer. La main publique se retrouvera avec des terrains qui ont le potentiel de construire 10 millions d’unités de logement, mais seulement 200 unités sont construites par an. Le secteur privé construit plus de 4 000 logements par an. Que faut-il dire d’autre ?

Vous rejetez donc également l’image selon laquelle les promoteurs retiennent leurs terrains et leurs logements pour spéculer sur l’augmentation de la valeur monétaire ?

Les études de Liser sur ce sujet sont commanditées par le Ministère du Logement. Si nous voulons poursuivre l’analyse, nous devons connaître le nombre exact de logements existants au Luxembourg et combien d’entre eux sont occupés ou vides. Cependant, le ministère ne peut pas présenter ces chiffres.

Le futur cadastre national des bâtiments et des logements devrait combler cette lacune.

Ce registre n’existera même pas dans 20 ans ! Je suis beaucoup plus favorable à l’introduction de l’obligation de déclarer dès maintenant les données les plus récentes des logements existants. Il y a encore trop de lacunes. Ce qu’il faut, c’est un décideur pour mener une véritable campagne de promotion du logement abordable. Cela fait 10 ans qu’on en parle et qu’on prévoit le faire avec le secteur privé, mais rien n’avance, même si c’est nous qui avons inventé le logement locatif abordable. Tous les acteurs majeurs ont déjà annoncé qu’ils coopéreront davantage avec la main publique. Je ne sais pas pourquoi l’État continue de se considérer comme le meilleur fournisseur possible de logements abordables.

La nouvelle taxe foncière, ainsi que les futures taxes de mobilisation des terrains vacants et des logements, vont-elles encore freiner les investissements ?

Je n’ai aucun problème avec ces nouvelles taxes. Le principe est bon. Nous ne sommes pas des spéculateurs. Nous ne laissons pas un terrain vide exprès. Si nous le faisons, c’est parce qu’il n’est pas possible de réaliser le projet. Si nous avons une si grande réserve foncière, c’est parce qu’il faut attendre 15-20 ans pour construire un quartier résidentiel. Il n’y a pas de coupable à blâmer. C’est une culpabilité collective. Mais nous ne pouvons plus continuer à nier la réalité du marché.

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