Publié le 29 novembre 2022 à 18.11. Mis à jour le 1 décembre 2022 2022 à 15h02
20 ans après Claudie Haigneré, Sophie Adenot, 40 ans, devient la deuxième femme française à être sélectionnée par l’Agence spatiale européenne (ESA) parmi les 22 523 candidatures reçues en 2020. Après un processus de recrutement d’un an et neuf mois, elle fait désormais partie de la nouvelle campagne spatiale pour 17 Européens, dont 5 astronautes, dévoilée le 23 novembre. « Un rêve de petite fille », sourit-elle sans bouder de plaisir. Avant d’être rattrapée par son humilité : « Je suis totalement novice dans ce métier ! J’ai encore tout à apprendre… »
A partir du 3 avril, le pilote formateur suivra une formation de base d’un an à Cologne, en Allemagne. Au programme : stage de survie, découverte, explications et prise en main des technologies utilisées par les astronautes. Et ce n’est que le début. Une fois affectée à une mission au sein de l’ISS (Station Spatiale Internationale), Sophie Adenot devra s’entraîner pendant deux ans, de manière plus spécifique et sous conditions. Par exemple, les astronautes simulent leurs excursions possibles à l’extérieur du véhicule – c’est-à-dire des opérations à l’extérieur de l’ISS – comme un plongeur dans une piscine.
« J’irai là où on me demande d’aller »
Sans oublier les voyages en Floride pour se familiariser avec l’engin SpaceX récemment enlevé par Thomas Pesquet et ses pairs américains et européens. Là encore, prudemment, elle rappelle que le décollage n’aura lieu qu’en 2026. Beaucoup d’inconnues sur son parcours. Ceci pourrez vous intéresser : Tugdual Le Nir, un jeune de Plabenne, témoigne de son tour d’Europe à vélo. « Aujourd’hui, personne ne peut dire dans quel bateau nous allons voyager… » Elle ne sait même pas où elle va voler. « Je vais là où on me dit d’aller ! » Dans le viseur de l’ESA : la Lune et la planète Mars.
Accomplissant une mission et répondant aux ordres, le lieutenant-colonel Sophie Adenot (elle préfère ne pas féminiser le titre) sait faire. Elle a passé dix-sept ans dans les forces aériennes et spatiales à piloter des hélicoptères. De ces années militaires, elle retient patience et discipline. « C’est une institution remplie de gens passionnés et passionnants. »
D’hélices et d’eau fraîche
Son truc : les hélicoptères. Une passion qu’elle a découverte lors de son premier emploi chez Airbus Helicopters, à Marignane, en Provence. En tant qu’ingénieur, elle conçoit des cockpits, notamment le modèle H225. « J’en suis tombé amoureux! » elle plaisante encore aujourd’hui. Voir l’article : Brian Chesky : Elon Musk, Anne Hidalgo et moi. Après l’avoir tant vu, elle veut le piloter. En 2005, seule l’Armée de l’Air en est équipée. Elle a donc postulé, a été acceptée et formée au pilotage.
De 2019 à 2022, Sophie Adenot a travaillé comme pilote d’essai au sein de la DGA Essais en Vol, au sein de l’Armée de l’Air et de l’Espace.DR
Apprendre, le Bourguignon de souche adore ça. Jetez un œil à son CV. Sophie Adenot est diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure de l’Aéronautique et de l’Espace (Isae-Supaero) de Toulouse. Au cours de ses études, elle s’est spécialisée dans la dynamique de vol des engins spatiaux et des avions. A 22 ans, elle obtient un master au prestigieux MIT de Boston où elle travaille sur la conception de centrifugeuses pour l’entraînement spatial.
Infidélités répétées au H225
En 2019, elle devient la première femme pilote d’essai d’hélicoptère au Centre d’Essais en Vol de la Base Aérienne de Cazaux en Gironde. Aujourd’hui, Sophie Adenot cumule 3 000 heures de vol sur 22 types d’hélicoptères différents. A voir aussi : Le bien-être sous toutes ses formes au Palais des Congrès de Bordeaux. Et soit dit en passant, parle quatre autres langues en plus du français : anglais, allemand, espagnol et russe.
« Je n’ai jamais vraiment arrêté d’étudier », s’enthousiasme cet élève très brillant. Son goût pour les études et l’excellence de sa carrière, ainsi que son caractère agréable étaient des critères importants pour l’ESA. L’histoire de tout va bien, enfermés ensemble dans une capsule à des milliers de kilomètres de la Terre. Elle y retrouvera sûrement ses camarades de classe : deux médecins, un astrophysicien, deux ingénieurs (spécialisés en biomédecine et en voyage dans l’espace). « Cette diversité est un vrai cadeau ! »
L’étiquette de la première pilote devenue astronaute la séduit plus que « la première ou la deuxième femme » à faire ceci ou cela. Elle ne se définit pas comme « féministe ». Pourquoi? « Mes métiers, pilote et maintenant astronaute, n’ont pas de sexe pour moi. Dans ces domaines, dit-elle, les femmes sont évaluées tout autant que les hommes, sinon plus.
« Pourquoi pas moi ? »
Elle a conscience de ce qu’elle doit aux pionnières qui « ont fait tomber les barrières » comme Jacqueline Auriol, pilote d’essai et recordman de vitesse ou Claudie Haigneré, première Française envoyée dans l’espace en 1996. « Un vrai déclic » pour la petite Sophie de 14 ans, qui se demandait : « Pourquoi pas moi ? »
Tout au long de sa scolarité, elle a chiné forums, événements, conférences autour de l’espace. A ces occasions, elle rencontre parfois ses idoles, qui deviendront plus tard ses collègues. Leur conseil, désormais, elle le prend à cœur : « Fais un métier que tu aimes, et si tu deviens astronaute, ce sera la cerise sur le gâteau. »
Des progrès palpables
Maintenant qu’elle y est parvenue, elle aimerait être une femme comme tout le monde. D’autant que les progrès sont palpables : dans la dernière promotion européenne de l’ESA, en 2009, sa collègue italienne Samantha Cristoforetti était la seule femme de sa promotion. Ils sont 2 sur 5 en 2022, et plus de la moitié si l’on compte les astronautes de réserve (8 sur 17).
Si Sophie Adenot ne se mobilise pas strictement pour la cause féministe, elle le fait pour l’égalité des chances. Elle est marraine depuis 2009, avec Thomas Pesquet, du dispositif « OSE l’Isae-Supaero », qui vise à favoriser et faciliter l’accès à l’enseignement supérieur des lycéens des quartiers prioritaires et des zones rurales isolées. Un jour, un jeune homme vint lui dire que c’était grâce à elle qu’il était devenu ingénieur. L’évocation de ce souvenir fait craquer l’armure de ce scientifique qui ne semble pas aimer trop se renverser.
Qui l’a poussée à réussir ? Ses parents. Qu’est-ce que ? On ne veut pas en savoir plus que ce que dit Wikipédia : un père notaire et une mère pharmacienne qui ont eu quatre enfants dont deux, elle et son petit frère Richard, ont été récompensés Young Leaders par la French American Foundation. Et elle ? À demi-mot, elle se confie sur le fait d’être mère. L’astronaute préserve son intimité de ce tourbillon médiatique comme « plat ».
Prof de yoga à ses heures perdues
Avait-elle tout simplement tort ? « Je n’aime pas vraiment ce mot. Elle préfère « les expériences qui ne se sont pas déroulées comme on l’avait imaginé » ou « les occasions d’apprendre », répond-elle en fidèle héritière d’une culture américaine inculquée sur les bancs de l’université. Elle finit par nous donner deux exemples : à la fin de sa préparation elle échoue au concours de Polytechnique, et en 2009 elle échoue à la troisième étape de la sélection ESA. Mais rien n’est perdu. « Cela m’a permis de voir comment s’est réellement déroulé le processus de recrutement. »
Encore quelques années pour se consacrer à ses loisirs sportifs. Lorsqu’elle ne saute pas en parachute ou ne descend pas une colline en VTT ou à ski, elle plonge ou pratique le yoga. Sophie Adenot, qui était l’une des dix, souhaitait « développer sa pratique » en devenant enseignante il y a deux ans. « Un cours de yoga par mois, principalement pour les amis », explique-t-elle. De quoi détendre tout son futur équipage.
Repères
Études : Lycée de la Légion d’honneur (93), prépa scientifique, Isae-Supaero, MIT (Boston, USA)
Lieu de travail : Cologne, Allemagne
Distinctions : Ordre national du mérite et médaille de l’Assemblée nationale (2022)