Le Bar des Arts au chevet des artistes les plus précaires

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Depuis 2019, l’association Le Barreau des Arts soutient les artistes en les aidant dans leurs questions juridiques. Droit d’auteur, clause de cession et propriété intellectuelle posent de nombreuses questions, même chez les plus précaires et chez les jeunes artistes. Aujourd’hui, un réseau d’une cinquantaine d’avocats travaille avec ces artistes. Entretien avec les deux co-fondateurs, Lucie Tréguier, avocate, et Corentin Schimel, artiste et avocat.

Actu-Juridique : Comment est née l’idée d’une association qui aiderait bénévolement les artistes sur leurs préoccupations juridiques ?

Lucie Tréguier : Nous avons créé l’association ensemble, Corentin Schimel et moi, mais l’idée de départ est née de mon expérience. En Australie, j’ai travaillé pendant trois ans pour une association, Arts Law Center of Australia, qui fournit des conseils juridiques, notamment aux artistes aborigènes. De retour en France, je me demande pourquoi ça n’existe pas. Sur le même sujet : A Morlaix, les clés de la création d’une petite entreprise… Alors j’ai commencé à faire des recherches, à rencontrer des gens… Notre concept est similaire, il suffit de s’adapter au système français. Mais il est vrai qu’en France, la pratique du pro bono est moins répandue.

Corentin Schimel : Je partageais le même constat d’un besoin d’accompagnement juridique de la part des artistes précaires. Nous avons décidé d’unir nos forces, la pratique du droit – nous étions tous deux étudiants en Master 2 à Assas en droit de la propriété intellectuelle – ainsi que celle de l’art, puisque je suis photographe et musicien et que Lucie est diplômée en histoire de l’art à la Sorbonne. Il y a une question de pratiques culturelles : en Australie, ce système d’assistance juridique aux artistes existe depuis près de 40 ans et plus de 300 avocats sont impliqués dans le mouvement. Le pro bono est beaucoup plus développé. En France, cela fait moins partie de la culture juridique que dans les pays anglo-saxons, où cette pratique fait partie de la pratique quotidienne du droit. Au début, nous avons identifié ces besoins chez les jeunes artistes, qui sont devenus nos amis.

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Actu-Juridique : Constatez-vous un vrai problème d’accès au droit pour les artistes ?

Corentin Schimel : Bien sûr ; pour les artistes précaires, il y a le bureau d’aide juridique, mais qui ne s’occupe que très peu, voire pas du tout, du droit d’auteur. Mais en général, les artistes ont peu accès à leurs droits ou connaissent peu leurs droits. C’est à la rencontre d’avocats, d’universitaires et d’artistes que nous avons pu tester l’idée et essayer de la structurer en créant l’association. A voir aussi : ▷ Le compte Google Business Profile : un must !. Le pro bono devait également être faisable. C’est pourquoi nous nous sommes appuyés sur le Barreau de Paris, notamment sa branche solidaire (dont l’initiative la plus connue est le Bus Solidaire), mais il n’y avait pas de propriété intellectuelle, et notamment de droit d’auteur. L’idée étant nouvelle, nous avons voulu construire un partenariat et échanger sur les questions éthiques, et définir le cadre dans lequel le Barreau de Paris pourrait intervenir.

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Actu-Juridique : Sentez-vous chez la jeune génération d’avocats une envie de s’engager bénévolement ?

Lucie Tréguier : J’ai constaté une volonté des avocats de s’engager dans des actions pro bono. Corentin avait également remarqué qu’au Bureau d’assistance judiciaire, de nombreuses initiatives avaient émergé, mais aucune dans les matières dans lesquelles les avocats étaient spécialisés. Quand nous avons eu l’idée du Barreau des Arts, nous nous sommes spécialisés dans la propriété intellectuelle, mais nous en savions moins sur les autres matières juridiques. Par exemple, je m’étais engagé un temps auprès des migrants de mon quartier, mais je sentais mes limites. De là l’idée aussi de mettre leurs compétences spécialisées au service de causes qui nous parlent. Voir l’article : Au Luxembourg : Rute est passé de la dépression à la création d’entreprise. Aujourd’hui, 50 avocats travaillent avec nous. Nous sommes surpris qu’il y ait autant d’avocats qui souhaitent intervenir dans des affaires pro bono. Nous avons rencontré quelques « grands avocats », associés, seniors, avocats expérimentés qui nous ont donné de très bons conseils (inspirés par les activités pro bono de leurs cabinets), mais la plupart des avocats bénévoles sont plus jeunes, ils veulent donner du sens à leur travail et participer à des activités spécialisées pour se sentir utile. Cela peut être un changement de paradigme, puisque tout le monde travaille dans une entreprise à temps plein.

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Corentin Schimel : A notre âge, on n’a pas de vision rétrospective de l’évolution des trente dernières années, mais on voit des entreprises anglo-saxonnes qui ont développé de beaux projets pro bono dans leurs entreprises qu’il ne faut pas sous-estimer. Après tout, ces valeurs utiles sont très présentes chez les avocats.

Nous avons ressenti un besoin entre avocats et artistes, évidemment à différents niveaux. Du côté des artistes, on constate un problème d’accès au droit et une méconnaissance de leurs droits. De la part des avocats, notamment des étudiants avocats, un besoin dans la pratique, car si nous avons reçu une excellente formation, celle-ci reste souvent trop théorique. Dans notre fonctionnement, nous nous appuyons donc sur des étudiants en M2 en droit de la propriété intellectuelle ou des étudiants en droit.

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Actu-Juridique : Comment sont traités les dossiers que vous recevez ?

Corentin Schimel : Ce sont des étudiants ou des étudiants avocats qui constituent le premier palier dans le traitement d’un dossier. Dans un premier temps, l’artiste concerné nous contacte via la plateforme et remplit le formulaire pour nous expliquer brièvement son problème juridique. Nous vérifions que cela correspond à un problème de droit d’auteur (parfois les questions portent sur le droit fiscal ou le droit des sociétés sur lequel nous ne pouvons pas intervenir), et si l’artiste est réellement dans une situation précaire. Bien sûr, il est difficile de définir cette notion, sachant qu’elle est très différente. On s’appuie donc sur le critère de l’aide juridictionnelle, calculé à l’aide d’un simulateur qui se base sur l’impôt, le patrimoine, etc. Nous demandons juste une capture d’écran de cette simulation.

Ensuite, ils s’appuient sur les élèves : ils appellent l’artiste pour affiner leurs informations sur le dossier ou demander d’autres pièces. C’est l’équivalent de ce que ferait un stagiaire, mais ce n’est pas un avis juridique.

Ensuite, ils travaillent sur une synthèse, pour faire l’inventaire des textes et de la jurisprudence. Nous imposons un délai de 3 jours pour les immerger dans la réalité du travail. Ensuite, ce dossier est transmis aux avocats du Barreau de Paris Solidaire et ils le transmettront aux avocats bénévoles de leur réseau.

Actu-Juridique : Comment expliquer ce sous-accès au droit ?

Corentin Schimel : Faites un parallèle avec les aides sociales, que des milliards d’euros ne soient pas versés à des personnes qui pourraient en bénéficier. C’est la même chose avec les artistes, qui ne savent pas que certaines aides existent ou même qu’ils ont des droits. C’est pourquoi nous communiquons beaucoup, établissons des partenariats avec le Ministère de la Culture, créons des événements.

Lucie Tréguier : Nous avons vu dans nos pratiques, dans des discussions avec les avocats du Barreau des Arts, qu’il y a une barrière entre les artistes, surtout les plus précaires, et les avocats. Les avocats entretiennent un côté inabordable, avec des honoraires qui restent chers. Les artistes pensent qu’ils doivent se rendre aux Champs-Élysées pour leurs rendez-vous légaux, qu’ils seront reçus en costume. Bref, ils entrent dans un environnement inconnu. Ils ont peut-être une image d’avocat un peu « à l’ancienne », alors que nous parlons la même langue qu’eux. Notre communication nous permet de renforcer au maximum le côté accessible de notre métier.

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Actu-Juridique : Comment votre pratique des arts vous a-t-elle aidé à mieux les comprendre ?

Corentin Schimel : J’ai enseigné dans une école de piano pendant deux ans lors de mes études de photographie à la sortie du Barreau, et la photographie fait partie de mes activités professionnelles. Lors de mon passage à l’école de photographie, nous avons déjà constaté la grande méconnaissance du droit chez les étudiants, avec des problèmes de crédits, dans un domaine plutôt précaire où les photographes gagnent déjà suffisamment leur vie et où la concurrence est assez importante. Dans mon cas, s’il manque des crédits, je connais mes droits !

Actu-Juridique : Quels sont les problèmes les plus fréquents rencontrés par les artistes ?

Corentin Schimel : Nous aidons les auteurs précaires, dans la mesure où le droit d’auteur s’applique tel que défini par le Code de la Propriété Intellectuelle. Les médias sont différents, les questions sont différentes. Mais cela peut être lié à des problèmes contractuels (avec des galeries, des éditeurs de musique), des clauses de cession de droits, par exemple.

Lucie Tréguier : Les conseils sont donnés de manière anonyme. Les interrogations sur la falsification du patrimoine, autrement dit le plagiat, sont nombreuses. Et de plus en plus d’artistes veulent agir en amont pour protéger leur travail. Ils se demandent s’ils doivent enregistrer leur création pour la protéger, de manière proactive, avant même qu’il y ait un problème.

Nous dispensons également des formations dans les écoles d’art. Cela permet aux élèves de comprendre qu’ils ont des droits. Parfois, les questions que nous recevons dans l’association découlent justement de ces formations.

Corentin Schimel : Développer les compétences juridiques des artistes était une des recommandations du rapport Racine (rapport 2020 pour améliorer les conditions de travail des artistes-auteurs, ndlr). Il existe de nombreuses structures d’accompagnement ou porteurs de projets liés aux artistes qui peuvent favoriser l’accompagnement juridique. On l’a fait pour Malterie à Lille, mais aussi en Auvergne ou pour les Pays de la Loire, c’est une vraie dynamique.

A l’école on leur en donne régulièrement, un peu moins avec le Covid. Mais si nous sommes clairs, le volume d’heures fournies n’est pas suffisant. On peut au moins espérer que ça donne un peu de réflexion, que les artistes puissent identifier qu’il y a un problème. S’ils veulent en savoir plus, ils peuvent consulter.

Lucie Tréguier : En fait, le droit d’auteur est vraiment très compliqué. Pendant nos 6 années de fac de droit, nous avons passé une année entière dessus. On essaie donc d’aborder les choses avec la jurisprudence, d’une manière qui ne soit pas trop théorique. Une fois les cours donnés, les élèves sont plutôt contents, même si leur cœur de métier est de créer. Pourtant, affronter la loi devrait faire partie de toute formation en école d’art, car les artistes doivent vivre de leurs créations.

Actu-Juridique : Pouvez-vous nous donner quelques chiffres sur l’activité du Barreau des Arts ?

Corentin Schimel : En deux ans, nous avons traité 200 dossiers, dont seulement 25 n’étaient pas recevables. En moyenne, les candidats ont 35 ans, et 50 % viennent d’Île-de-France. Nous aidons dans tous les cas où la loi française s’applique.

Par catégorie, ce sont d’abord les musiciens (15%), puis les écrivains (12%), les plasticiens (10%) et enfin les photographes (10%). Les femmes sont surreprésentées de 60 %.

Actu-Juridique : Que deviennent les dossiers une fois traités ?

Corentin Schimel : Seule une minorité va en contentieux. Parfois, il suffit d’une lettre d’avertissement formelle, que les demandeurs sont aidés à rédiger, qui mentionne les bons articles et qui suffit à résoudre un problème.

Lucie Tréguier : Si jamais l’artiste veut intenter une action en justice, il faut demander au bâtonnier de lever l’anonymat de l’avocat qui a étudié le dossier et il faut aussi que l’avocat accepte d’être payé tous les jours. assistance légale.

Corentin Schimel : Bien sûr, cela reste très rare, cela ne devrait pas être un inconvénient pour les avocats de trouver des clients potentiels.

Actu-Juridique : Quelle somme de travail cela représente-t-il ?

Lucie Tréguier : Nous avons un réseau de 50 avocats bénévoles et 80 étudiants. Pour la gestion des dossiers, ça marche. Cela prend entre 5 et 10 heures au total par dossier, incluant le travail des étudiants, le nôtre (gestion) et celui des avocats.

Actu-Juridique : Quels sont vos projets ?

Corentin Schimel : Nous souhaitons encore renforcer la communication des bénévoles ; sortant de deux ans de Covid, les gens ont envie de se retrouver. Nous continuerons à faire des présentations publiques, nous souhaitons gagner des lots afin de pouvoir continuer notre action pro bono et nouer des partenariats avec de nouvelles structures. Enfin, il existe de nombreux outils numériques qui pourraient nous faire gagner du temps pour mener à bien nos tâches.