« Les Halles, c’est un lieu de pouvoir » : à Biarritz, l’élite a son marché

Written By Sara Rosso

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Ils essaient de se frayer un chemin entre les étals de gambas, de gambas fraîches et de merlu de ligne, pieds nus dans leurs mocassins en cuir, marchant calmement dans leur bermuda griffé, mais virevoltant autour de la Carte Bleue dans leurs polos griffés. Personne ne les dérange ici, têtes couronnées d’une start-up nation ou retraités du CAC40 naviguant incognito au pays des surfeurs. « Les Halles de Biarritz sont un lieu de pouvoir dans le sens où l’on croise de nombreux capitaines d’industrie au mètre carré sans s’en rendre compte ; tout ce qu’ils veulent, c’est se taire », raconte le journaliste Alain Gardinier, Bayonnais de naissance mais Biarrot d’adoption.

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« On croise tout le monde sans savoir qui ils sont », confirme Marie-Capucine, patronne du bar LeGeorges, situé à Clemenceau, à quelques dizaines de mètres plus bas. Mais ici, contrairement à Saint-Tropez, c’est chic de n’être personne. « La propriétaire du Bar de la plage – son deuxième bar à Biarritz – ne savait pas qu’elle avait déjà servi Michel-Édouard Leclerc en terrasse jusqu’à ce qu’un post Instagram le lui dise. Mais reconnaîtrait-elle Serge Blanc, l’ancien rugbyman devenu homme d’affaires, ou Guillaume Pepy, l’ancien patron de la SNCF parti à la retraite ? Certes, ils sont moins reconnaissables que Karl Lagerfeld, venu défaire sa queue de cheval à Biarritz, Laurent Ruquier avant qu’il ne préfère Marseille, ou encore Jean-Paul Gaultier, qui s’invite en voisin de Saint-Jean-de-Luz.

Spectacle humain 

Spectacle humain 

Aux Halles de Biarritz, ce paradis des piétons depuis sa rénovation en 2013, le spectacle se déroule dans et autour du marché couvert. La ruche s’anime dès 7h30 du matin. Voir l’article : Wall Street : le Dow Jones et le Nasdaq défient les craintes de récession. Dans ce lieu choisi par Napoléon III sous le Second Empire, alors que la mode des bains de mer se répand sous l’impulsion de son épouse l’impératrice Eugénie, l’Espagnol de Grenade reste nostalgique des baignades de son enfance. Mais l’empereur n’aura pas assez de temps libre pour se familiariser avec sa forme moderne.

Les deux bâtiments actuels ont été remaniés à la fin du XIXe siècle par l’architecte Alexandre Ozanne, après que Napoléon III eut dû connaître l’exil en raison de l’humiliation de la France dans le conflit franco-prussien. Mêlant les codes architecturaux des anciennes fermes labordines avec leurs façades blanches ornées de briques rouges, ces bâtiments, garnis de faux bois et entourés d’une charpente métallique, fournissent largement de quoi remplir le stockage des villas de Biarritz, dont plus de 40 % sont désormais utilisés comme résidences secondaires : fruits, légumes, fromages et viandes à la fois ; et d’autres poissons et fruits de mer.

Désormais, les Halles ne sont guère plus que des Parisiens

Mais que les Parisiens se rassurent, ils ne seront pas superflus. Ici, le prix de la Pink Lady est largement compétitif par rapport aux pommes de la capitale, l’inflation ayant suivi les prix de l’immobilier pendant trois ans – un bond de 40% vers le haut, sur la côte, à plus de 20 000 € le mètre carré. « Désormais, seuls les Parisiens font leurs courses aux Halles », note Biarrot, un homme d’affaires qui fait affaire avec Singapour. Les Biarrots se rendent désormais aux Halles des 5-Cantons à Anglet. Il n’en demeure pas moins que le réseau s’est développé aux Halles. »

A 11 heures, il y a ruée. Pendant que certains se bousculent avec le charcutier vedette Pascal Manoux, d’autres regardent déjà cette petite comédie humaine du bar L’Écaillerie autour d’une caisse d’huîtres arrosée d’un verre de Chablis. Quelle joie! Marie-Agnès Gillot, aperçue un été à cet endroit stratégique, en avait les yeux pleins. Après avoir été célébrée sur les scènes du monde entier, l’ancienne vedette de l’Opéra de Paris ne pouvait trouver meilleure place dans le public, dans un recoin où le détail ne manque pas sans être au centre de l’attention. Si le marché regorge de monde, outre la qualité de ses produits, il ramène aussi le plaisir des rencontres fortuites à une époque où il limite quasiment le champ des possibles. Nous nous y retrouverons pour un café ainsi qu’un apéritif. « Les Halles, c’est comme les Tramp Games », résume le journaliste Guillaume Durand, dont la grand-mère paternelle possédait une villa à Biarritz. Que vous alliez à un rendez-vous ou non, vous finissez toujours par rencontrer quelqu’un. »

Biarritz a cette capacité à mélanger aristo et populo très naturellement

Il n’y a pas de chaise libre à l’extérieur. Les innombrables stands de nourriture qui entourent le marché couvert nous rappellent la proximité de l’Espagne avec leurs poissons grillés et leurs tapas servis à toutes les sauces. Les âmes authentiques, qui sont assez fières de leur propre monnaie dans ce pays – le Euskadi, opteront pour le Market Bar, tandis que les cœurs plus touristiques s’installeront en face du Jean Bar. L’ancien bistrot de pêcheurs, construit dans les années 1930, est devenu le plus gros guichet automatique du quartier, avec des millions d’euros par an, selon un commerçant voisin. Les tapas payent… Ancien membre de la jeune côte basque, formé par le « Tonton surfeur » Joël de Rosnay dans les années 1960, est un musicien passionné et producteur de musique Éric Dufaure. « Biarritz a cette capacité à mêler aristo et popula très naturellement », explique le descendant de l’ancien président du Conseil Jules Dufaure, également oncle de l’acteur Vincent Lindon. Car tout le monde partage la même envie de se sentir bien sous le soleil et sur les vagues. »

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Marché gentrifié 

Marché gentrifié 

Alors que d’autres se donnent rendez-vous au Comptoir du foie gras, les maîtres du dimanche comptent déjà leurs vis à la forge Uhart, l’une des rares enseignes à avoir résisté à la colonisation des bars et restaurants. Vu les embouteillages monstrueux qui gangrènent le BAB – l’axe Bayonne-Anglet-Barritz – se rendre dans cet établissement, tenu par la même famille depuis 1912, vaut mieux que d’aller dans un supermarché, d’autant qu’il bénéficie d’un accueil et de conseils de proximité. « Depuis la fermeture, beaucoup de gens se sont mis au bricolage et à la cuisine ; et vous avez ici tout ce dont vous avez besoin pour entretenir, cuisiner et réparer votre maison », confirment la propriétaire Marie-Pierre Uhart et sa fille Sandra, la cinquième génération à reprendre le flambeau.

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Cela fait longtemps que les artisans ne sont plus son principal client. Comme les grandes villes internationales, le marché des Halles s’est embourgeoisé. On ne se contente plus du ravitaillement, on y déjeune. La population aisée a abandonné la place Bellevue et a investi cet ancien quartier populaire pour en faire son quartier général, tout comme d’autres font aujourd’hui revivre le quartier Saint-Charles sur la diagonale opposée. « Au début des années 2000, on assiste à la première flambée des prix », explique le décorateur Vincent Gazel. Puis, avec la faillite de Lehman Brothers, elle s’est calmée et stabilisée. Mais depuis le Covid, les prix ont de nouveau explosé. Les jeunes entrepreneurs se sont enrichis, par exemple, avec de nouveaux services de livraison numériques. Alors, même si le billet est cher, ils font la queue car l’emplacement est extrêmement stratégique. Ici, nous sommes à la fois à proximité des bars et des plages. »

Début 2000, on assiste à la première flambée des prix

Avocats, intellectuels, professions libérales et artistiques qui peuvent aimer travailler à distance ont décidé pendant la pandémie que Paris devenait leur pied-à-terre et non plus l’inverse. « Beaucoup de gens se sont dit qu’il était temps d’arrêter de gâcher leur vie, mais plutôt de l’organiser en fonction du rythme des marées », poursuit le courtier de Singapour. Ces jeunes Parisiens, qui pouvaient s’offrir un menu étoilé, ont constaté qu’ici les enfants ne tombent jamais malades. Et outre la plage, il y a aussi les Pyrénées à proximité. « Nous en retrouverons quelques-uns dans le Connecteur, un espace de bureaux de 8 000 mètres carrés en périphérie de l’hypercentre.

Les Halles forment un quartier sûr avec ses barrières qui fluidifient la circulation les jours de marché. Bien qu’il soit difficile de s’y garer, vous pouvez laisser votre voiture déverrouillée sans craindre qu’elle ne soit volée. « On n’est pas attaqué ici, il n’y a pas d’impolitesse », rassure la décoratrice.

Vincent Gazel a 6 ans lorsque son père décide de quitter Paris en 1964 et d’ouvrir une boutique à Biarritz. Depuis, dit-il, seule l’église Saint-Joseph n’a pas bougé et continue de percevoir des mensualités auprès des commerces qui partagent ses murs. Fini les pressings, cordonniers et autres devantures habituelles, la gentrification s’étend désormais jusqu’en haut de la rue Gambetta. Sa boutique a même occupé le salon de son enfance, où s’organisent parfois de merveilleuses expositions de photographies, comme celle des yeux de Jean-Marie Périer dans les années soixante.

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Renaissance perpétuelle 

Renaissance perpétuelle 

En vous promenant sur la place, des souvenirs remontent à la surface. Si l’envie vous prend d’y retourner, il est possible de pousser la porte de l’épicerie fine Arostéguy. En 1875, cette famille basque reprend les murs d’une ancienne pharmacie pour vendre les meilleurs produits régionaux. Confit de canard, boudin noir, piment d’Espelette. Sur le même sujet : Horizons – Motos Yamaha en stage vélo : c’est reparti pour un tour… Tout est local dans ce bar, figé dans le temps, aux étagères en bois inchangées de la pharmacie. Ultime preuve du respect dont jouit la famille Arostéguy : en 2020, les Biarrot ont choisi Maider Arostéguy, la sœur de l’épicier de luxe, pour prendre la tête de la mairie. Il n’est donc pas étonnant que l’on croise parfois cette femme LR aux Halles. C’est sa forteresse.

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J’ai toujours pensé que Biarritz n’est pas une ville de riches, mais une ville riche en patrimoine

Nous ne serons pas non plus surpris d’apprendre que Frédéric Beigbeder

a choisi cette marque historique pour présenter sa vodka éco-responsable Le Philtre, qu’il a lancée avec son frère Charles. Dégustation accompagnée d’une signature. Depuis 2017, l’auteur du roman Un barrage contre l’Atlantique a décidé de renouer définitivement avec la terre de son enfance, dans le village voisin de Guéthary.

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Rudiments du surf avec Catherine Deneuve 

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. Mais c’est à Biarritz que l’ancien compagnon allemand a recréé son cercle littéraire. Pendant trois ans, en compagnie du philosophe Frédéric Schiffter, il dirige le Prix Maison Rouge, fondé par Céline et Guillaume Farré à Biarritz pour doter le Pays basque d’un prix littéraire. On retrouve dans le jury quelques personnages emblématiques de l’art et de l’écriture, de l’actrice Isabelle (Huppert, Carré) de Saint-Jean-de-Luz au romancier Philippe Djian, qui, sur les conseils d’Antoine de Caunes, a élu domicile à Biarritz. Port. après succès 37°2 du matin. En 2021, le jury a récompensé Le Voyant d’Étampes, roman d’Abel Quentin, qui a été co-couronné avec le Prix Flora, fondé par un… Frédéric Beigbeder.

Comme les marées, Biarritz renaît sans cesse. Comme des vagues, chaque bonne époque a balayé la génération précédente sans en effacer la mémoire. « J’ai toujours pensé que Biarritz n’était pas une ville de riches, mais une ville riche de son patrimoine », nous raconte l’ancien maire Didier Borotra, architecte de la rénovation des Halles, devenues zone protégée après un projet fou. son prédécesseur de démolir le casino municipal et d’en faire un hôtel. Depuis que l’impératrice Eugénie y a construit sa villa en forme de E, comme les initiales de son nom – l’actuel Hôtel du Palais, aujourd’hui propriété du groupe Hyatt –, beaucoup ont été captivés par son histoire.

On se souvient de l’arrivée des Russes Blancs, venus l’hiver après la Révolution d’Octobre. Rappelons que Coco Chanel a vécu une longue et grande passion avec l’un de leurs musiciens, Igor Stravinsky. On se souvient du faste des années folles et de son architecture art déco restée intacte. Rappelons aussi le regret que l’organisation du festival international du film nous ait bluffé face à un concurrent à Cannes. On sait que la ville a sombré comme une belle au bois dormant après la guerre, jusqu’à ce que le scénariste américain Peter Viertel s’y arrête une décennie plus tard avec un drôle de tableau qui deviendra légendaire.

Rappelons-nous alors que Joël de Rosnay, le meilleur danseur de sa génération, s’est emparé d’elle et, alors que Catherine Deneuve apprenait les bases du surf, il a épousé la fille de l’ambassadeur britannique (et premier secrétaire général de l’ONU) Stella Jebb. Souvenons-nous de la visite de Frank Sinatra chez son ami Guyd’Arcangues, le fêtard le plus joyeux de la côte basque. On connaît aussi l’ouverture de la ville à la communauté gaie à une époque où les coutumes étaient plus rigides. On se souvient que les yeux du monde entier étaient fixés sur cet ancien port de pêche, qui a su en 1984 inventer un téléphone révolutionnaire avec caméra intégrée, le visiophone.

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De Napoléon III. on sait aussi que le pouvoir politique n’est pas à l’abri de ses charmes, de Mitterrand, qui y tint un sommet de 26 chefs d’État africains en 1994, à Macron, qui y trouva une rampe de lancement pour sa campagne présidentielle de 2016, et peut-être pas seulement parce que la famille de sa femme y a un appartement. Selon la légende, en 1999, Vladimir Poutine aurait même appris qu’il prendrait la relève de Boris Eltsine lors de vacances en famille là-bas. Depuis le début de la guerre en Ukraine, nous sommes sûrs que nous ne le retrouverons plus là-bas, tout comme les Russes ont quitté l’Hôtel du Palais. D’autres prendront sûrement le relais. Et c’est par l’art et la gastronomie que le renouveau a pu s’installer dans cet ancien village de pêcheurs.