« L’inclusion de l’avortement dans la Constitution menace la liberté de…

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Dans le texte collectif rédigé par Grégor Puppinck, plusieurs juristes[1] dont Guillaume Drago, alertent sur les conséquences de l’éventuelle introduction du « droit à l’avortement » dans la Constitution. Selon eux, cette décision violerait la clause de conscience et limiterait la liberté d’expression. Cet avis collectif a été initialement publié par Le Figaro et reproduit ici avec l’approbation de Grégor Puppinck.

Le 1er février, le Sénat votera une proposition visant à inscrire le « droit à l’IVG » dans la Constitution en ajoutant un nouvel article 66-2 ainsi rédigé : « La loi garantit une efficacité et un accès égaux au droit à l’interruption volontaire de grossesse » . Si cette proposition, à elle seule, ne modifierait pas les conditions d’accès à l’interruption volontaire de grossesse, elle aurait pour effet direct de menacer la liberté de conscience du personnel médical et de restreindre la liberté d’expression. Les sénateurs doivent être avertis de cette menace très réelle.

Deux fois déjà, en 2018 et 2020, députés et sénateurs écologistes et socialistes ont supprimé la clause de conscience pour l’avortement. Selon l’exposé des motifs du projet de loi 2020, il s’agissait pour eux, en le supprimant « d’atténuer la stigmatisation [des femmes] et les difficultés d’accès à l’IVG causées par […] cette clause de conscience ». Cet effort s’est heurté à l’opposition du syndicat des gynécologues-obstétriciens, ainsi que du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qui a estimé, dans son avis du 8 décembre 2020, qu’« une clause de conscience spéciale souligne la singularité de l’acte médical que représente l’avortement » et doit être défendue, tant pour des raisons éthiques que pratiques (cf. Prolongation du délai légal de l’IVG : Avis du CCNE, opposition au CNGOF, texte à débattre demain) Ainsi, les deux tentatives ont été rejetées par le législateur.

C’est cette fois indirectement et avec beaucoup plus de prudence, mais tout aussi dangereusement, que le projet de révision constitutionnelle menace la liberté de conscience. En effet, en exigeant de l’État qu’il garantisse « l’effectivité » de l’accès à l’avortement, il oblige les législateurs et les gouvernements à supprimer les barrières qui entravent l’avortement. Pourtant, les objections de conscience sont présentées par les promoteurs de l’avortement comme un obstacle majeur en France.

Le droit constitutionnel à l’accès effectif à l’avortement ayant été reconnu, qu’en est-il de la clause de conscience qui n’a qu’une valeur juridique ? Il serait possible de justifier sa suppression au nom de l’objectif constitutionnel d’un accès effectif à l’avortement. Celle-ci peut être obtenue par le Parlement, par l’abrogation de la clause, ou par une question prioritaire de constitutionnalité adressée au Conseil constitutionnel dans le cadre d’un recours contre un médecin qui s’y est opposé.

Un vrai danger pour les professionnels de santé

Certes, les garanties de la clause de conscience étaient une condition nécessaire à la dépénalisation de l’avortement, et le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle de « la liberté de la personne tenue de pratiquer ou de participer à un avortement », dans sa décision de janvier 1975. (cf. Loi Veil, loi inconstitutionnelle ?). Mais si le droit à un accès effectif à l’avortement est inscrit dans la Constitution, le Conseil constitutionnel pourrait être amené à le mettre en balance avec la liberté de conscience. Il peut alors estimer que celle-ci est suffisamment garantie par le droit déontologique accordé à tout médecin, sage-femme et infirmier « de refuser des soins pour des raisons professionnelles ou personnelles », « sauf cas d’urgence et incompatibles avec ses devoirs humanitaires », ou dans la mesure de ses capacités, de changer de profession ou de spécialité. En effet, aucun médecin, sage-femme ou infirmier n’est matériellement obligé de pratiquer ou de prescrire un avortement, mais, à terme, son opposition entraînera sa démission, ou le choix d’une autre profession.

Le régime de ces professionnels de santé sera détrôné et aligné sur celui des pharmaciens qui, malgré la dispensation de pilules pour l’avortement médicamenteux, n’ont aucune clause de conscience. La suppression de cette clause permettrait de conditionner l’accès de tout ou partie de la profession médicale à l’acceptation de pratiquer un avortement chirurgical ou médicamenteux, et justifierait le rejet des objections, comme ce fut le cas pour les pharmaciens. La justice française a confirmé le licenciement des pharmaciens qui s’étaient opposés (Cour d’appel de Paris, 18 septembre 2018). Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, elle a jugé que la discrimination dans l’embauche d’une sage-femme en raison de son refus de pratiquer un avortement ne violait pas sa liberté de conscience, dans l’affaire « Grimmark et Steén contre la Suède », 12 mars 2020 (cf. Avortement et objections de conscience : la CEDH refuse d’examiner à la demande de deux sages-femmes suédoises).

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Quant au droit déontologique des médecins, sages-femmes et infirmiers de refuser un traitement, il ne peut être plus efficace que le droit du pharmacien de « refuser de donner un médicament », garanti par l’article R. 4235-61 du code de la santé publique. Plus généralement, si la clause de conscience juridique était supprimée, on ne voit pas pourquoi la clause déontologique serait respectée. Ce droit déontologique est moins un droit qu’une exception à l’obligation de soins, puisqu’il n’est possible qu’en présence « d’exigences personnelles ou professionnelles importantes qui conditionnent la qualité, la sécurité ou l’efficacité des soins » (art. L.1110-3 du code de la santé publique). Dans le cas contraire, les praticiens peuvent être sanctionnés pour « discrimination dans l’accès à la prévention ou au traitement ». Dès lors, les opposants doivent se justifier au cas par cas et s’exposer à des poursuites disciplinaires et judiciaires, dispositions facilitées par la loi du 26 janvier 2016. Autant dire que les praticiens opposants courent un risque élevé d’être harcèlement. Il ne s’agit donc pas d’un danger fictif.

D’autres dispositions législatives sont concernées

Aujourd’hui, en droit, l’avortement reste une exception et un principe de respect de la vie. Cela ressort clairement de l’énoncé de l’article 16 du Code civil qui stipule que « la loi garantit la primauté de la personne, interdit toute atteinte à sa dignité et garantit le respect de la personne humaine dès le début de sa vie ». Un rappel de ce principe introduit le livre du code de la santé publique sur l’IVG (arts L. 2211-1 à L. 2223-2). Si l’avortement est érigé en droit constitutionnel, alors toutes les lois relatives à l’avortement et à la vie prénatale doivent être réajustées sur ce principe. Parmi les exceptions, l’avortement serait le principe, tandis que le principe de la liberté de conscience, au contraire, serait, au mieux, l’exception (cf. Objections de conscience : le droit fondamental de la nécessité). Le CCNE n’avait apparemment rien de plus à dire lorsqu’il écrivait en 2020 : « il peut être difficile de supprimer [la clause de conscience spéciale] tant que le droit à l’avortement n’est pas reconnu ».

Cette réorganisation autour du droit constitutionnel à l’avortement affecterait d’autres dispositions législatives importantes, notamment l’article 16 du Code civil indonésien, qui serait contraire à la Constitution. Cela affectera également d’autres libertés, en particulier la liberté d’expression. Déjà en 2014, les législateurs ont étendu la violation prohibitive de l’avortement contre les sites Web et les militants pro-vie accusés d’exercer des pressions sur les femmes enceintes en détresse. Depuis lors, les personnes qui tentent d’« empêcher la pratique » de l’IVG, notamment « en exerçant des pressions morales et psychologiques », peuvent être passibles d’une peine d’emprisonnement de deux ans et de 30 000 euros d’amende (art. L. 2223-2 du la réglementation légale). code de la santé).

Les amendements constitutionnels proposés limiteraient davantage la liberté d’expression, car l’avortement « inscrit » dans la Constitution en fait une valeur, un « dogme » qui le place au-dessus du doute et de la discussion démocratiques. Critiquer l’avortement, c’est aller à l’encontre des valeurs républicaines. La liberté d’expression et le débat politique seront fortement réduits. Cependant, l’avortement ne doit pas être un sujet tabou.

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Examen offensif et non défensif

Le paradoxe de cette initiative parlementaire est que l’accès à l’avortement n’est pas, et n’a jamais été, menacé en France depuis la loi Veil. Bien sûr, cela dit, il y aurait de plus en plus de gens qui s’y opposeraient pour des raisons de conscience. Mais la pénurie de gynécologues-obstétriciens acceptant de pratiquer des IVG a été largement compensée par la généralisation des IVG médicamenteuses, qui représentent 70% des IVG en 2019 (selon la DRESS), et que tout médecin ou sage peut prescrire – les femmes libérales, même en télémédecine, et avec autorisation donnée aux sages-femmes de pratiquer des IVG chirurgicales (cf. avortement instrumental par les sages-femmes : « essai » lancé). De plus, l’augmentation du prix de l’IVG depuis 2022 a rendu cette pratique financièrement attractive. Ainsi, aucune femme en France n’est empêchée de se faire avorter, et l’accès à l’avortement n’est nullement menacé. Pour preuve, le nombre d’avortements n’a jamais été aussi élevé en France, devant atteindre 223 000 en 2021, contrairement à nos voisins européens où le nombre est inférieur à la moitié et continue de baisser.

Quant à la menace d’abolition de l’avortement par une hypothétique majorité parlementaire hostile à l’avortement, elle a été neutralisée par la décision du Conseil constitutionnel du 27 juin 2001, qui a fait découler l’avortement du principe constitutionnel de la liberté individuelle (cf. L’avortement dans la Constitution : un sénateur le fait lui-même). Il semble donc que le but de ce projet de révision constitutionnelle n’est pas d’être défensif, mais d’être offensif. Le but n’est pas de protéger l’avortement mais plutôt de l’affranchir de son statut d’exception au respect de la vie pour en faire un droit en soi, un principe organisateur. Cela aurait non seulement un énorme pouvoir symbolique, mais aussi des conséquences dévastatrices pour les droits et les libertés fondés sur le principe du respect de la vie humaine antérieure, en particulier la liberté de conscience et d’expression.

Même Simone Veil renoncerait à sa tombe, elle qui a déclaré devant l’Assemblée : « Je le dis avec toutes mes convictions : l’avortement doit rester l’exception, le dernier recours pour une situation sans issue », précisant, à propos de la loi,  » que s’il n’est plus interdit, il ne crée aucun droit à l’IVG » (cf. de la loi « Veil » à la loi « Gaillot »). Quant à la clause de conscience, il a assuré qu' »il va sans dire qu’aucun médecin ou assistant médical n’a été sollicité pour y participer ».

[1] Les signataires étaient Grégor Puppinck, docteur en droit et directeur de l’European Center for Law and Justice (ECLJ), fondateur du forum, Pierre Delvolvé, membre de l’Institut, Guillaume Drago, professeur à la faculté de droit, président de Family & République, Clotilde Brunetti, professeur émérite de droit, Stéphane Caporal-Greco, professeur de droit public, Joël Hautebert, professeur des universités, Jean Christophe Galloux, professeur agrégé de faculté de droit, Jean-Pierre Gridel, professeur agrégé de droit, Jean-Michel Lemoyne de Forges, professeur à la faculté de droit, Béatrice Libori, maître de conférences en droit public, Gérard Mémeteau, professeur émérite de droit, Marie-Thérèse Avon-Soletti, maître de conférences honoraire, Tanguy Barthouil, avocat au barreau d’Avignon, Nicolas Bauer, étudiant docteur en droit, chercheur à l’ECLJ, Françoise Besson, avocate à la Cour, Christophe Bourdel, avocat au barreau de Paris, Cyrille Callies, juriste, Cécile Derains, avocat à la Cour, Jean Dupont-Cariot, notaire, Claire de La Hougue, docteur en droit, Benoît de Lapasse , avocat à Paris, Loïc Lerate, avocat aux barreaux de Paris, Bertrand Lionel-Marie, avocats aux barreaux de Paris, Delphine Loiseau, avocats aux barreaux de Paris, Philippe Marion, avocats aux barreaux de Paris, Claude de Martel, président de la JPE , Santiago Muzio de Place, avocat au barreau de Lyon, Jean Paillot, avocat au barreau de Strasbourg, Vincent Puech, avocat au barreau d’Avignon, Yohann Rimokh, avocat au barreau de Bruxelles, Olivia Sarton, avocate, Benoît Sevillia, avocat au Barreau de Paris et Geoffroy de Vries, avocat à Paris