Il y a quelques mois, deux silhouettes silencieuses de plomb ont été arrachées des entrailles de Notre-Dame de Paris. Ces cercueils, scellés il y a plusieurs centaines d’années, viennent d’être ouverts pour la première fois depuis leur inhumation.
Lors de fouilles menées en février dernier au croisement de la croisée de Notre-Dame de Paris, les équipes de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ont découvert de nombreux vestiges archéologiques. Parmi eux, deux sarcophages anthropomorphes en plomb, scellés, ont été transférés à l’institut de médecine légale du CHU de Toulouse pour y être ouverts et subir une série de prélèvements et d’analyses. Cette opération visait notamment à résoudre la question de l’identification du défunt. Lors d’une conférence de presse donnée vendredi 9 décembre, l’équipe scientifique a dévoilé les premiers résultats de cette enquête pluridisciplinaire, menée du 21 au 26 novembre, sur un « cas froid de plusieurs siècles », selon les mots de Dominique Garcia, président de Inrap.
L’économie de la mort
L’annonce de la découverte du premier sarcophage en plomb, anonyme puis présumé du XIVe siècle, à Notre-Dame avait provoqué un tollé en avril dernier. Un nouvel impact quelques semaines plus tard lors de la découverte d’un deuxième cercueil anthropomorphe en plomb, celui du chanoine Antoine de La Porte (1627-1710), identifié par son inscription. Voir l’article : Tempête : les bons réflexes à adopter pour rester en sécurité. Il n’est pourtant pas étonnant que le sous-sol de la cathédrale ressemble à un cimetière quand on sait qu’au fil des siècles au moins 300 personnes y ont été enterrées.
Vue du sarcophage en plomb du chanoine Antoine de La Porte découvert sur le site des fouilles préventives réalisées à la croisée du transept de Notre-Dame de Paris en hiver 2022 © Denis Gliksman, Inrap
A noter ici que les sépultures à Notre-Dame de Paris (qui eurent lieu jusqu’au XVIIIe siècle) étaient réservées aux membres de l’élite sociale, ainsi que la fabrication d’un sarcophage en plomb, qui coûtait extrêmement cher. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’inhumation a eu lieu à la croisée du transept, espace sacré très privilégié du fait de la proximité avec le chœur et de la présence, jusqu’au début du XVIIIe siècle, d’un jubé-crâne dominé par la Croix. . du Christ Ce secteur de la cathédrale était en effet particulièrement recherché par les croyants fortunés, désireux d’attendre le Jugement Dernier dans les meilleures conditions possibles. L’économie du Salut génère ici une économie de la mort ainsi que des pratiques funéraires précises et évolutives, dont les tombes exposées par l’Inrap sont de précieux témoins que les scientifiques tendent à mettre au jour.
Les premiers résultats des études menées au CHU de Toulouse sur les sarcophages en plomb découverts lors de la fouille à la croisée du transept de Notre-Dame de Paris ont été révélés lors d’une conférence de presse le 9 décembre 2022 à Toulouse. ©LP/Rémy Gabalda
Capsules temporelles
Après avoir été déblayés et sortis du chantier de fouilles, les deux sarcophages en plomb ont quitté Paris pour être transportés à l’institut de médecine légale du CHU de Toulouse pour y subir toute une batterie d’analyses. A voir aussi : Coupe du monde 2022 – Le filleul de sa fille décède aux urgences André Ayew révèle de nouvelles révélations après le match contre l’Uruguay. Cette structure dispose d’équipements d’imagerie médicale de pointe permettant des études rapides (histologie, microscopes, scanner, radiographies). Par ailleurs, ses équipes ont déjà travaillé sur un cas similaire, celui de Louise de Quengo, noble bretonne du XVIIe siècle momifiée dans son cercueil de plomb et découverte en 2014 par l’Inrap.
Exhumation du squelette du cavalier anonyme au CHU de Toulouse © Denis Gliksman, Inrap
La fouille des sarcophages en plomb, qui a mobilisé de nombreux spécialistes, s’est déroulée durant une période très stressante, du 21 au 26 novembre 2022, afin de limiter le temps de manipulation des restes. Comme l’explique Camille Colonna, anthropologue à l’Inrap, les cuves ont été découpées au ciseau électrique, pour le cercueil du chanoine de La Porte, et à la meuleuse pour le sarcophage anonyme, aux parois beaucoup plus épaisses.
L’étude des sarcophages a été réalisée en tenue de protection et à l’aide d’instruments stérilisés pour protéger les scientifiques du risque lié au plomb et les sépultures d’une éventuelle contamination humaine. © Denis Gliksman, Inrap
Un relevé photogrammétrique, permettant une bonne restitution en 3D, a été réalisé sur les deux sarcophages et divers prélèvements (restes végétaux, matière organique, minéraux et ADN) ont été prélevés. Une première étude bio-anthropologique et pathologique a été réalisée, qui a permis de préciser la « carte d’identité » du défunt (âge au décès, sexe, stature) et son état de santé.
Un chanoine aux belles dents
Sur le sarcophage d’Antoine de La Porte ont été placées trois médailles où son effigie le représente de profil. A voir aussi : Indre-et-Loire : les urgences dentaires ne seront plus contrôlées à partir du 10 juillet. © Denis Gliksman, Inrap
Les spécialistes ont ainsi pu établir que le chanoine de La Porte est décédé à l’âge de 83 ans, qu’il souffrait de goutte et que son squelette ne porte pas de traces d’activité physique régulière, ce qui est conforme à ses fonctions. . Eric Crubézy, professeur d’anthropologie biologique à l’université Toulouse III-Paul Sabatier, précise que l’individu « présentait un état dentaire remarquable, qui témoigne de soins réguliers ». Lors de la découverte du sarcophage, les archéologues ont immédiatement pu identifier le canon grâce à la présence d’une grande plaque de plomb portant une inscription en latin, répétée sur une seconde plaque scellée sur le cercueil, mais aussi grâce à la découverte de trois médailles en sa ressemblance.
Tous ses ossements du squelette du chanoine de La Porte sont conservés, ainsi que les cheveux et les poils de barbe. © Denis Gliksman, Inrap
Surnommé le « chanoine du jubilé », en raison de ses 50 ans et plus de sacerdoce, Antoine de La Porte était une personnalité riche et influente qui est à l’origine de plusieurs commandes d’œuvres d’art et a notamment fait don de 10 000 livres pour financer la réparation. de la clôture du chœur de Notre-Dame. C’est également à cette occasion que le crâne de jubé médiéval, dont plusieurs fragments entouraient la tombe du chanoine, fut finalement démoli.
Le mystère du cavalier tuberculeux
Le mystère demeure quant à lui quant à l’identité du deuxième individu. Sa sépulture est actuellement datée entre le XIVe siècle et la fin du XVIIe siècle, date à laquelle son sarcophage aurait été déplacé sur le lieu de sa découverte. Il y aura bientôt la datation au carbone 14, ce qui permettra de limiter cet intervalle chronologique et en fait la possibilité. L’analyse des restes et du contenu du sarcophage a en revanche établi que l’homme est décédé vers l’âge de 30 ans et qu’il a dû être cavalier dès son plus jeune âge. Son squelette porte en effet les traces d’une importante activité physique des membres supérieurs, qui correspond à une pratique régulière de l’équitation. De santé fragile, il souffrait d’une méningite chronique, probablement causée par la tuberculose, une affection qui lui fit également perdre la quasi-totalité de ses dents.
Soumis aux effets destructeurs de l’oxygène, le sarcophage du cavalier anonyme ne contenait plus aucun reste de tissu organique. © Denis Gliksman, Inrap
Au-delà de l’identité de ce mystérieux cavalier, c’est son mode de sépulture très particulier qui intéresse les spécialistes. Ce dernier a notamment noté que le sarcophage semble avoir été moulé sur le corps du défunt, une pratique qui n’avait jamais été observée jusqu’alors. La présence de plusieurs plantes caractéristiques indique à première vue qu’il a été embaumé, ce que confirment également le crâne scié et la dépression du sternum. Quant au coussin de végétaux repéré à la caméra endoscopique lors des premières observations faites à Notre-Dame, il s’agit en réalité d’un reste de fleurs et de feuilles qui composaient une couronne funéraire. Ces différents éléments indiquent que le cavalier appartenait très probablement à l’aristocratie.
Détail des restes floraux analysés dans le sarcophage du cavalier. © Denis Gliksman, Inrap
Les analyses approfondies qui auront lieu dans les prochains mois porteront entre autres sur les pratiques d’embaumement, les techniques d’assemblage des cercueils et la nature des textiles présents dans les cuves. Ils peuvent même nous renseigner sur le régime alimentaire du défunt et ses déplacements au cours de sa vie. Une datation au carbone 14 et une analyse génétique de l’ADN seront également effectuées.
Repos éternel et devoir de connaissance
Les âmes pieuses pourront s’offusquer que l’archéologie vienne ici interrompre le repos éternel des morts, dont le sommeil n’a pas été troublé par les guerres, ni les crues de la Seine ni même l’incendie de 2019. Mais les impératifs liés au chantier de reconstruction de Notre-Dame de Paris, et plus particulièrement de sa flèche emblématique, ont rendu nécessaire l’érection d’un échafaudage géant de près de 600 tonnes sur le secteur de la traversée de la croisière.
Observation d’os en fluorescence sous ultraviolets © Denis Gliksman, Inrap
La pression exercée par la structure risquant de compromettre l’intégrité des traces présentes dans le sous-sol, l’établissement public chargé de la restauration et de la conservation de la cathédrale a donc financé une campagne de fouilles préventives à cet endroit, qui a donc été menée par l’Inrap sur le recommandation de la Drac Île-de-France. Les cercueils devaient donc être abrités, au moins pendant la période de construction. De plus, ils présentaient divers trous qui permettaient à l’oxygène de pénétrer dans les réservoirs, provoquant une altération progressive et inévitable des restes qu’ils contiennent. Des actions de conservation, impliquant une étude préalable, ont donc dû être menées.
Habituellement, le plomb favorise la conservation, mais les sarcophages ont été percés et leur contenu a été modifié. Ici : une vue de fragments de tissus et de cheveux dans un sarcophage. © Denis Gliksman, Inrap
A toutes ces raisons, liées à l’urgence de la situation, s’en ajoute une autre, tout aussi nécessaire, celle du devoir de connaissance (démarche consubstantielle à l’esprit humain s’il existe), qui veut que la science saisisse une telle opportunité d’approfondissement. notre connaissance du passé, qui concerne à la fois les techniques de fabrication des cercueils et les pathologies dont souffraient les défunts. Les découvertes de sépultures dans l’enceinte de Notre-Dame sont rarissimes et les travaux menés en 2022 offrent une occasion unique de documenter l’évolution des pratiques funéraires et de la spiritualité ou, plus largement, de la société à laquelle appartenait le défunt. .