C’est une longue journée pour Vincent Bounes. Le chef de service du SAMU 31 (Haute-Garonne) vient de lancer un appel 24h/24 au cours duquel il traite les « 2000 appels quotidiens » adressés au Département Centre 15 avec ses équipes cet été. Patients sans médecin, vacanciers malades, parents inquiets, randonneurs blessés… Le médecin de garde oriente ses bénéficiaires en fonction de la gravité de leurs pathologies. « Même si tous les appels ne sont pas au 911, loin de là », précise-t-il d’emblée, évoquant une entorse à la cheville ou un enfant qui tousse. Selon le médecin, 50 % des centaines d’appels téléphoniques qu’il reçoit chaque jour nécessitent des soins médicaux simples, l’envoi d’une ordonnance ou des recommandations de traitement à suivre à domicile. Un quart des autres patients recevraient un traitement directement à domicile, sur recommandation d’une équipe de médecins ou d’un médecin généraliste – contacté le plus souvent par SOS médecins. « Et le quart restant, ce sont des patients qu’il faut effectivement emmener aux urgences ou à l’hôpital », conclut Vincent Bounes.
Mais après 18 ans de carrière, dont 6 au SAMU 31, le médecin de garde ne cache pas ses inquiétudes. « L’accès d’urgence n’a jamais été aussi réglementé. » Alors que des dizaines de services sont partiellement fermés sur l’ensemble du territoire – en mai dernier, l’association Samu-Urgences de France (SUdF) estimait que 120 hôpitaux étaient en « graves difficultés » en raison du problème – et que les urgences qui restent ouvertes font face à un afflux impressionnant des patients, il ne peut que constater « les énormes difficultés de prise en charge et d’accès aux soins ». Depuis le début de l’été, il n’est donc pas rare que l’urgentiste soit appelé par des patients en détresse, plantés devant les portes fermées des hôpitaux ou cliniques de la région, auxquelles on ne peut accéder qu’après un appel. . « Tous les patients qui ont besoin de soins hospitaliers sont disponibles et nous trouvons toujours des lits », dit-il. « Mais c’est parfois difficile, surtout avec les plus petites pathologies… qu’il faut encore soigner ».
Sous pression, de nombreux hôpitaux ont déjà suivi les recommandations du fameux ‘Rapport Brown’, qui a été présenté par le nouveau ministre de la Santé en juin dernier et qui a été réalisé après une ‘mission d’urgence rapide et de soins non programmés’. Le document recommande aux structures hospitalières « de mieux encadrer les admissions aux urgences soit à l’entrée du service, soit sur prescription médicale préalable du Samu ou du Service d’accès aux soins (SAS) ». Ainsi, fin mai, le CHU de Bordeaux a instauré « l’accès » à ses urgences tous les soirs entre 20h00 et 8h00, tout comme le Centre Hospitalier de Troyes, dont le service a été régulé de 18h30 à 19h00 depuis le 19 juillet. ou encore les hôpitaux du département de Vendée, qui auront un accès limité à leurs urgences de 23h00 à 08h30 à partir du 22 juillet. Montauban dispose même de deux interphones qui permettent de filtrer 24h/24 et 7j/7 les accès aux urgences. Le vert est réservé aux patients ayant obtenu un contrat téléphonique préalable pour se faire soigner, et le rouge à ceux qui n’ont pas fait cette démarche. L’hôpital estime que le processus, mis en œuvre à partir de début juillet, aurait entraîné une « réduction moyenne de 25% des admissions » du service en filtrant les cas « véritablement liés » aux urgences.
Approvisionnement limité. 2 mois 1 € sans engagement
« Prise en charge adaptée »
Dans ce contexte, comment savoir quels patients ont le droit de franchir la porte des urgences et lesquels doivent être orientés vers d’autres structures ? Concrètement, le premier réflexe lorsqu’il y a un problème – et si le médecin traitant n’est pas disponible – est d’appeler le 15. « Vous rencontrerez alors un assistant médical de régulation (ARM) qui vous orientera vers les bons interlocuteurs. » décrypte Delphine Briard, membre du bureau de l’Association nationale des assistants médicaux réglementaires (UNARM). Selon la gravité du cas, le patient est dirigé vers les urgences, reçoit des soins médicaux d’urgence directement à domicile ou est orienté vers une maison de repos, un médecin généraliste, un médecin de garde ou un médecin libéral. « En aucun cas, les patients ne seront poussés, abandonnés ou poussés hors du système de santé. Au contraire, nous les accompagnerons au mieux pour qu’ils soient pris en charge correctement et rapidement », souligne le régulateur.
« Cette réglementation est nécessaire », a déclaré le vice-président du SUdF, le professeur Louis Soulat. Au CHU de Rennes, où il dirige le service des urgences, un médecin montre que l’activité a augmenté de 30 % cet été. « Nous avons un afflux de patients dû à la canicule, au Covid et surtout à la fermeture régulière des services des autres hôpitaux du territoire. Il faut absolument passer le 15 pour éviter encore plus d’embouteillages. » Même combat à Avignon, où la cheffe de service, Fanny Virard, estime le nombre de cas ne nécessitant pas de soins d’urgence à « entre 30% et 40% ». « Ce sont des patients qui se tordent le doigt et veulent une radiographie immédiate, demandent d’arrêter de travailler à tout moment, des patients qui refusent d’attendre le rendez-vous d’un médecin de famille… Parfois, ils ne font plus la distinction entre une urgence vitale. Voir l’article : Nous avons trouvé une solution pour avoir plus de tomates sur une jambe !. et le reste », évalue le médecin, qui réfère les cas légers au cabinet médical. Même si parfois le système tourne en rond. « Au milieu de la nuit, ce centre médical ferme. Alors les patients sont renvoyés chez eux à 21h30 car les horaires de rendez-vous sont pleins… Et au final, il faut s’occuper d’eux. »
« Désorganisation totale du système »
Pour certains utilisateurs, le système de réglage et de redirection – parfois imparfait – ne fonctionne pas. Travaillant de chez elle au Pays basque, Alizée en a fait les frais début juillet. En plongeant dans la piscine après sa journée de travail, cette Parisienne de 27 ans heurte violemment le fond de la piscine et ressent une douleur fendue et aiguë au nez. Ce dernier gonfle, puis vire au bleu dans les heures qui suivent. Ceci pourrez vous intéresser : Alerte canicule : le département du Finistère a été classé en alerte rouge. / Actualités / Hébergement. Inquiète et sans médecin, Alizée décide de se rendre le lendemain soir aux urgences d’une clinique privée de la région. « Il était environ 22 heures et les portes étaient fermées. J’ai appelé plusieurs fois l’interphone, mais personne n’est venu ouvrir la porte », raconte-t-elle. La jeune femme abasourdie appelle alors le 15 : l’agent lui dit que son cas n’est pas une urgence, puis rappelle en lui proposant une radiographie le lendemain.
Le lendemain matin, le patient contacte le médecin traitant par vidéo, qui estime que son cas justifie un déplacement aux urgences pour une radiographie. « Puis je suis allé à l’hôpital public de Bayonne, où j’ai fini par attendre trois heures pour me voir refuser cette radio car la cloison nasale n’avait pas dévié. Malgré les conseils que j’ai reçus, on nous a dit que je n’avais rien à faire là. . Ils m’ont dit de rentrer chez moi et en cas de doute, d’aller voir un oto-rhino-laryngologiste », raconte Alizée en soupirant. « Finalement, je n’ai pas eu la moindre ordonnance d’antalgiques, un examen complet, et j’ai été ballotté de médecin en praticien. » Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association française des médecins urgentistes (AMUF), ne cache pas son mécontentement face à ce genre d’incident. « On est dans le désarroi total du système, il y a une vraie panne du service public : on essaie de culpabiliser les gens qui viennent aux urgences ‘pour rien’ alors qu’ils n’ont parfois pas le choix d’accéder à un diagnostic. » il se lamente.
D’autant que dans certains cas les pathologies sont bien plus graves qu’un simple nez cassé. « Parfois, nous avons une réelle chance de perdre nos patients », regrette le médecin de garde, évoquant des cas où des patients n’osent pas contacter une ambulance par peur d’être « distraits ». « Un homme des Pays-de-la-Loire, qui avait des douleurs à la poitrine le soir, n’a consulté que le lendemain matin, venant lui-même… Il avait fait un grave infarctus. Et j’ai des histoires comme ça toutes les semaines. » , s’exaspère Christophe Prudhomme. Partout en France, les syndicats s’inquiètent de la « dégradation de l’offre de soins ». « J’ai un exemple précis d’un enfant qui a été victime d’un accident de la circulation, qui s’est retrouvé dans un hôpital d’un établissement de la région sans passer par les urgences, qui étaient fermées. Le lendemain, on a constaté qu’il avait un rupture de la rate et du foie, et il a dû être envoyé à Marseille à cause de la catastrophe… Ce n’est pas compréhensible », déplore Cédric Volait.-d’Azur, coordinateur régional CGT Santé pour la région Provence Alpes-Côte.
« On était seuls dans notre détresse »
Iman, une mère au foyer de 28 ans, témoigne se sentir « abandonnée » par sa fonction publique. Mi-juillet, alors que son fils de six mois respire mal, elle décide de se rendre aux urgences du centre hospitalier Côte de Lumière aux Sables-d’Olonne (Vendée). Vers 23h30, il a appelé l’interphone, mais la porte est restée fermée. « On nous a simplement dit qu’ils ne pouvaient pas nous accepter faute de médecins », raconte la mère de famille. Inquiet, ce dernier appelle le 15, mais il confirme que le téléphone sonne alors « dans le vide ». « Pendant ce temps, ma compagne a appelé les pompiers qui nous ont renvoyés au Samu… Que nous avons donc rappelés sans plus de réponse. Nous étions seuls dans notre pétrin. » Le couple s’est ensuite rendu dans un autre service d’urgence régional à La Roche-sur-Yon. Pendant le voyage, Iman appelle l’hôpital pour s’assurer qu’elle est acceptée : l’établissement se connecte avec le médecin de Samu, qui diagnostique une éventuelle laryngite par téléphone.
Une fois à La Roche-sur-Yon, l’agence pour l’enfance a rapidement pris en charge l’enfant, mais son cas a empiré. « Ça s’est aggravé d’un coup : tout le couloir s’affolait. On m’a dit que s’ils n’arrivaient pas à le stabiliser, il fallait appeler le service de réanimation de Nantes… imaginez mon état », raconte Iman. Les médecins parviennent enfin à stabiliser l’enfant, qui passe les cinq jours suivants à l’hôpital. Voir l’article : La nuit aux urgences de Philippe Martinez, de la CGT, au CHRU de Brest-Carhaix. Interrogé, le service communication des hôpitaux de Vendée, qui regroupe une quinzaine d’établissements publics du territoire, a indiqué à L’Express que lorsque la famille s’est présentée au service des Sables-d’Olonne sans qu’il ait 15 ans avant il n’y avait pas d’urgence vitale . » « Puis la situation s’est aggravée à l’hôpital de La Roche-sur-Yon, où le patient était soigné. Nous encourageons toujours les patients à appeler le 15 pour être redirigés. » Des semaines après les événements, Iman dit ne pas vouloir porter plainte et veut montrer « son soutien au monde médical ». « Mais je ne comprends pas comment les choses ont pu sont arrivés à ce point. . J’espère sincèrement que mon cas restera exceptionnel. »
Opinions
Chronique de Christophe Donner
Chronique de Denys de Béchillon
Chronique de Cécile Maisonneuve
Cécile Maisonneuve, fondatrice de DECYSIVE et conseillère au Centre Énergie et Climat de l’Ifri