Depuis leur asservissement, des milliers de Français ont été séduits par des entraînements sportifs sur Internet. Une tendance à laquelle les joueurs traditionnels doivent s’adapter. (dessin)
« Tout s’est passé très vite, c’est impressionnant ». Près de sept mois après le début de la période de travail, Sarah Ourahmoune semble toujours surprise par le nombre d’abonnés qui ne cesse de croître sur ses réseaux sociaux. Depuis mars dernier, l’ancienne championne du monde de boxe est passée de 17 000 à plus de 41 000 abonnés sur son compte Instagram, et elle compte déjà près de 4 500 internautes sur sa chaîne YouTube. Bien qu’elle propose depuis plus d’un an de petites vidéos de sport en ligne sur Internet, la boxeuse, sacrée dix fois championne de France, a vu le nombre de ses followers s’envoler pendant l’accouchement. « Comme tout le monde, j’avais plus de temps devant moi. J’ai donc commencé à faire des lives sur Instagram, des sessions décadentes pour les débutants, les plus confirmés, les parents, et même les plus âgés », raconte Sarah Ourahmoun.
En pleine restriction, et même si, pour la majorité des Français, les salles de sport ne sont plus qu’un lointain souvenir, le concept s’impose : le vice-champion olympique crée sa chaîne YouTube, partage ses séances en replay, s’engage à faire « trois à quatre vies par jour ». Encouragées par ces séances en ligne proposées gratuitement, ses abonnés s’y habituent : en mai, à la fin du travail, Sarah Ourahmoune constate que beaucoup d’entre eux continuent de s’entraîner, et lui envoie un retour sur leurs séances. Les restrictions successives annoncées par le gouvernement, notamment sur la fermeture des salles de sport, confirment que les internautes sont bien dans cette nouvelle pratique. « Certains ont perdu cinq ou huit kilos, d’autres sont contents d’avoir repris le sport ou d’avoir découvert certaines disciplines. Ça me donne envie de continuer, de créer des programmes plus réguliers, voire plus adaptés », a déclaré le boxeur récemment nommé. la promotion « Committed to Covid » de la Commitment Foundation pour son initiative.
En pleine pandémie, Sarah Ourahmoune illustre la nouvelle envie des Français de s’informer sur le sport en ligne. Selon une enquête d’opinion Ifop, réalisée en fin de période de travail et publiée le 29 mai, 24 % des personnes interrogées avaient suivi des cours de sport, de fitness ou de musculation sur Internet – pour 15 % d’entre elles, cette pratique était une nouveauté. Et la motivation ne semble pas s’être arrêtée au sortir de cet isolement forcé : fin mai, 14 % des Français indiquaient vouloir suivre des cours en ligne « dans les prochaines semaines ».
« Cela correspond exactement à la demande actuelle »
« La digitalisation du sport existe déjà depuis plusieurs années, notamment dans les pays anglo-saxons. En France, le Covid a considérablement accéléré ce phénomène », interprète Pierre Rondeau, économiste du sport à l’Ecole du management du sport et membre de l’Observatoire du sport. Société à l’Institut Jean Jaurès. Sur le même sujet : Le Pays Basque vu du ciel grâce aux vols en hélicoptère. « Les applications ou lives sur Internet permettent le développement d’un sport individuel, déconnecté des fédérations et associations sportives. Cela vous laisse les mains libres, pour pratiquer le sport que vous souhaitez à un prix bien moins élevé que si vous auriez été membre d’une club privé… Bref, cela correspond exactement à la demande actuelle », précise l’expert.
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Sur les réseaux sociaux, des dizaines de chaînes YouTube confirment cette tendance : accessibles à tous, les coachs sportifs et les influenceurs proposent leurs formations aux utilisateurs via des vidéos en ligne, régulièrement mises en ligne. La YouTubeuse Sissy Mua, qui compte plus de 1,2 million d’abonnés sur Instagram et 1,68 million sur Youtube, a donc posté, en période d’addiction, des quotidiens accessibles gratuitement à ses abonnés. Une stratégie marketing payante : l’application d’entraînement en ligne que la jeune femme a co-fondée, qui rapporte, rassemble désormais plus de 400 000 sportifs « 2.0 ».
« J’ai payé une salle de sport dont l’abonnement me coûte 400 euros par an », raconte Alix, qui « passe aux vidéos Sissy » récemment. « Après avoir découvert ses vies libres pendant le travail, j’ai vu un vrai changement dans mon corps », a déclaré la jeune femme. « Je suis abonné à son application pour moins de 100 euros par an, et je profite de centaines de vidéos d’entraînement, de conseils diététiques, d’exercices à faire sans matériel, au calme, chez soi, sans le regard des autres. , la restriction du couvre-feu ou encore le masque à remettre en partant », argumente-t-il. « Il y a un vrai engouement pour ce type d’application, un vrai public à séduire », analyse Pierre Rondeau. « Les entreprises plus traditionnelles d’aujourd’hui ont l’essence du résultat, et doivent s’adapter à cette nouvelle tendance : malgré la fermeture des salles de sport ou des magasins de sport, les cours en direct peuvent être une vraie solution d’appoint », explique-t-il.
« Des séances rapides, cadrées, courtes, accessibles »
NeoNess, Basic Fit, Domyos, Nike… Face aux mesures successives mises en place par le gouvernement, les clubs de fitness et les marques de sport n’ont eu d’autre choix que de s’adapter. C’est ainsi que le Decathlon E-club, qui propose des cours collectifs en direct via une « salle de fitness digitale », a vu le nombre de ses abonnés exploser depuis sa mise en place. A voir aussi : Xiaomi Mi Band 7 Pro : cette offre AliExpress limitée qui fait baisser le prix du bracelet inclus. De 5 000 séances par semaine en passant par l’application avant leur confinement, la marque a relevé que plus de 100 000 cours sont suivis par semaine pendant cette période d’isolement, « avec des pics s’élevant à plus de 150 000 séances », note Jérôme Lacoste, responsable de la Plateforme de service d’entraînement sportif Decathlon. Fréquentation de l’application Decathlon Trainer, qui propose un service d’entraînement numérique gratuit, doublé pendant l’accouchement, passant de 350 000 séances de sport par semaine à 700 000 séances. « Actuellement, la tendance se poursuit avec une légère baisse : 500 000 séances de sport sont pratiquées via l’application chaque semaine », note la marque.
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Même son de cloche du côté de Basic Fit, dont la fermeture totale ou partielle des salles depuis le 16 mars a « poussé les utilisateurs à installer l’application réservée aux abonnés du club », assure Fabien Rouget, responsable commercial au sein de l’entreprise. Pendant le travail, l’entreprise a connu « un pic d’utilisation au niveau européen »: fin mars, l’utilisation des cours collectifs virtuels GXR (Group Exercise Revolution) était sept fois supérieure à celle « du début d’année ». Si le recours à ces cours collectifs est « revenu à un niveau proche de la période d’avant l’addiction » depuis, Fabien Rouget est conscient que cette tendance « est à surveiller avec attention ». « C’est une vraie demande : les clients veulent désormais faire des sessions rapides, structurées, courtes et accessibles partout ».
Faire face au « défi de la modernisation »
Pour Thibaut Aoustin, du Conseil social du mouvement sportif (CoSMoS), les salles « ont été obligées de proposer ce type de service à leurs clients ». Face aux stars de YouTube et d’Instagram, « tous les clubs associés, les clubs de fitness, les fédérations, se sont retrouvés à devoir s’adapter. Ils n’ont d’autre choix que de franchir le pas », explique-t-il. Sur le même sujet : Saint-Front : cette commune vend des chaumières en Bigorre. « Le marché français du sport individuel est hyperconcurrentiel », ajoute Pierre Rondeau. « Pour opérer, il faut être capable de fidéliser les abonnés sur de longues années : c’est là que les professionnels qui mettront rapidement en place des solutions digitales s’imposeront.
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Une nouvelle tendance qui pourrait aussi déboucher sur des pratiques « inédites », selon Pierre Rondeau. « Ça marche pour le sport à la maison, mais aussi pour regarder le sport : en ces temps de couvre-feu et de restriction, il faut révolutionner la relation numérique entre les supporters et le club ». Alors le RC Strasbourg a mis en place sa propre application, alors que « le PSG fait beaucoup d’efforts sur sa communication via YouTube, par exemple », montre l’économiste du sport.
Mais, si cette tendance « a tendance à se poursuivre dans le temps », elle pourrait aussi fragiliser les acteurs « plus traditionnels » du secteur, craint Pierre Rondeau. « Cette nouvelle pratique pourrait facilement se faire au détriment des clubs et fédérations associatives, qui ont connu une réduction de plus de 50% de leurs licenciés à la rentrée en septembre », rappelle-t-il. Selon l’expert, les différentes Fédérations ont aujourd’hui « une part de responsabilité ». « Ils doivent maintenant relever le défi de la modernisation, faire un effort suffisant pour capter ce nouveau public, par exemple en proposant des applications compétentes ».