Quand la fatigue mène aux hallucinations : la navigatrice Alexia Barrier nous raconte

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111 jours seule en mer Lors de son premier Vendée Globe, en 2020, Alexia Barrier en a vu de toutes les couleurs : Faute de sommeil, elle a même eu des hallucinations. Après être devenue une experte des micro-siestes, elle nous raconte comment elle vit la fatigue !

ELLE. Quand tu navigues seul en mer, combien de temps dors-tu ?

Alexia Barrière. Je fais des micro siestes de 8 à 40 minutes toutes les 4 à 6 heures, par tranche de 24 heures. Et je dors au moins une fois par heure. Mais toujours avec la moitié du cerveau au travail, entendre et identifier chaque bruit pour savoir si tout va bien ou s’il faut intervenir. Je suis en pilote automatique – comme si j’étais sur l’autoroute et que la voiture avance – donc le bateau continue d’avancer et il faut trouver des techniques pour s’endormir sans stress. Sur le Vendée Globe, j’ai parfois réussi à dormir deux ou trois heures d’affilée, mais c’est max. C’était dans le Grand Sud, là où il y a des vents forts et pas de rivages aux alentours, donc moins de risque de se réveiller en cas de catastrophe pour éviter une collision avec un autre bateau. Parfois je dois me forcer car j’aurais pu rester plus longtemps dans le sac de couchage ! Le niveau de bruit à bord est très élevé, entre le vent, la mer, les voiles, le carbone qui grince… Le manque de silence peut être oppressant alors je mets parfois des écouteurs antibruit quelques minutes pour faire une vraie pause.

ELLE. Avez-vous déjà eu des hallucinations dues à un manque de sommeil ?

UN B. Oui, mais surtout lors de ma première transat en solitaire en 2005. J’ai cru voir, au beau milieu de l’Atlantique, un parking éclairé avec des voitures aux phares allumés et des familles qui me saluaient, puis une montagne qui me parlait comme dans les dessins animés. Mes hallucinations étaient assez drôles, mais pour d’autres skippers ça l’est beaucoup moins. Certains peuvent se mettre en danger et se jeter à l’eau en se croyant dans la piscine par exemple. Dans ces cas – et cela vaut aussi bien sur terre qu’en mer – il est important de freiner. Dommage pour la performance, il faut prendre soin de soi et dormir plus longtemps. Aujourd’hui je les ai plus rarement. Au Vendée Globe mes hallucinations étaient assez auditives, j’avais l’impression que quelqu’un me parlait alors que c’était mon pilote automatique. Il s’agit de réagir à temps et d’aller se reposer. Sur terre comme en mer on a de nombreuses raisons d’être fatigué, il est important d’accepter son mou.

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ELLE. En mer, vous êtes un marin et sur terre un homme d’affaires. Où vous sentez-vous le plus fatigué ?

UN B. J’ai du mal à être aussi fort sur terre qu’en mer. Peut-être parce qu’en mer le rythme est plus naturel, dicté par les éléments et qu’il y a moins de pression sociale. Le Vendée Globe, c’est 111 jours non stop où je n’ai vu personne. Bien sûr, il y a un stress de performance. Parfois, les éléments peuvent se déchaîner, et c’est impressionnant, mais je pense que cette fatigue est plus saine. A terre, je reçois plus fortement les violences générées par les gens : bruit, voitures… J’ai des projets à gérer – j’organise un tour du monde à la voile avec le monde entier avec un trimaran – beaucoup de rendez-vous pris, et donc plus mental effort, fatigue. J’aime être avec les autres, mais j’ai aussi besoin d’être seul pour respirer, comme en mer. Ma mère me dit souvent « tu dois être épuisée! » « . Alors oui, comme tout le monde, mais je sais que c’est pour les bonnes raisons. Je vis ma passion à fond, c’est une bonne fatigue.

ELLE. Et physiquement, comment se traduit votre fatigue ?

UN B. Mon rythme cardiaque change, comme si j’avais besoin de respirer profondément pour me calmer. J’ai la sensation d’être en coton, d’avoir les jambes douces et la tête bien au chaud. En tant qu’athlètes, nous sommes très conscients de notre corps et portons une attention particulière à tous ces signes de fatigue. Parfois, lorsque nous sommes fatigués, cela peut être un cercle vicieux, nous nous hydratons et mangeons moins et cela ne fait qu’aggraver notre fatigue. J’essaie vraiment de garder un rythme et de ne pas oublier de manger ou de boire. Quand je me sens fatigué je fais aussi très attention aux chutes, je fais tout plus lentement pour ne pas me blesser. Si j’ai une manœuvre compliquée à faire, je cherche un moyen de la simplifier ou de la déplacer.

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ELLE. Vous avez appris à gérer votre fatigue…

UN B. J’étudie la météo environ trois à quatre fois par jour, alors j’écris quand je pense pouvoir manger et dormir pendant les 48 prochaines heures. Pour être sûr de ne rien manquer ! J’ai des techniques de préparation mentale, je fais de l’auto-hypnose pour m’endormir plus vite et avoir une meilleure qualité de sommeil. J’essaie d’entrer dans un état de bienveillance envers moi-même, d’imaginer un endroit où je me sens bien et de me concentrer là-dessus plutôt que sur tout ce qu’il me reste à faire. Maintenant, je peux m’endormir sur commande et assez rapidement. Au Vendée Globe, je me suis souvent réveillé plus tôt que prévu car j’avais peur de ne pas aller assez vite et de me faire doubler. Mais il est tout de même important de dormir le temps que l’on s’était fixé pour récupérer. Je fais aussi attention à mon alimentation : quand je suis très fatiguée, je prends des petites collations pour ne pas perdre d’énergie, mais aussi pour ne pas avoir une digestion qui me prend beaucoup d’énergie. En vieillissant, je mets plus de temps qu’avant à récupérer de mes courses.

ELLE. Dans le Vendée Globe tu étais épuisé mais tu as continué malgré une fracture du dos…

UN B. Je ne pouvais pas aller plus loin. J’ai passé les dix jours avant l’arrivée à ramper, à essayer de dormir, dans des douleurs atroces. J’ai vraiment pris les jours comme ils venaient, les uns après les autres. C’est cela qui m’a permis d’atteindre mon objectif et d’atteindre la ligne d’arrivée. Si je suis fatigué, que ce soit en mer ou sur terre, j’essaie de me concentrer sur le moment et de me remonter le moral à chaque pas que je fais plutôt que de regarder ce qu’il me reste à faire. Aujourd’hui j’ai appris à suivre un cours. Même si je n’avance pas beaucoup, c’est toujours plus satisfaisant que de revenir en arrière ou d’abandonner. Il y a des jours où j’avance centimètre par centimètre. Mais d’autres où je marche des kilomètres !

Cet article fait partie du ELLE Zen Month on Fatigue, en collaboration avec Thalassa Sea & Spa. Retrouvez tous nos articles et vidéos sur zen.elle.fr