Avec quels mots, sur quel ton et à quel âge doit-on aborder ce sujet sensible ? Franceinfo a interrogé des experts en la matière pour y voir plus clair.
Parler de sexe avec vos ados ? Cédric, 47 ans, père d’une fille de 14 ans et d’un garçon de 12 ans, avoue avoir quelques soucis. « C’est encore plus difficile avec l’aînée qu’avec le fils. Je sais qu’elle a un copain et l’autre jour j’ai essayé d’aborder le sujet dans la cuisine. » L’échange se limitait en fait à un monologue. « J’ai dit : ‘Tu es assez âgée pour avoir des relations sexuelles. Les bisous, c’est bien, mais peut-être que les mecs veulent autre chose.’ Puis j’ai dit d’utiliser un préservatif. Elle n’a pas réagi », note-t-il avec un rire nerveux.
Si les parents sont de plus en plus conscients de l’utilité de parler d’amour et de sexualité à leurs enfants, ils ne savent pas toujours comment s’y prendre. Pourtant, l’enjeu est de taille : un rapport du Sénat, rendu public le 28 septembre, affirme que deux mineurs sur trois de moins de 15 ans ont déjà accédé à des images pornographiques sur Internet.
Outre l’exposition à la pornographie, il semble que d’autres sujets soient fondamentaux pour la construction affective et sexuelle des jeunes : la prévention des infections sexuellement transmissibles, la contraception, le consentement et, plus largement, les questions d’égalité dans les rapports hommes-femmes. Comment accéder à ces rubriques ? À partir de quel âge ? Avec quels mots ? Franceinfo a recueilli les conseils de trois experts en la matière.
1Ne culpabilisez pas d’avoir du mal à dialoguer
Ce n’est nullement évident. « Il n’y a pas que les parents qui ont du mal à parler de sexe avec leurs enfants. Ceci pourrez vous intéresser : Île-de-France : premier désert médical de France. Tous les adultes ont du mal à parler de sexe en général. C’est une question qui reste profondément taboue, même si les choses évoluent », note Margot Fried-Filliozat, un sexologue.
Dans son bureau, il voit beaucoup d’adultes qui ne discutent pas du tout de sexualité, pas même avec leur partenaire. Il y a de nombreuses raisons, mais il note que beaucoup ont été entravées par l’éducation. C’est le cas de Cédric. Ses parents n’en ont jamais discuté avec lui. Il se souvient même d’une anecdote : « Quand j’avais 10 ans, j’ai fait une blague à connotation sexuelle à mon père. Il m’a regardé avec un grand mépris et m’a dit : ‘Tu es un maniaque du sexe.’ Je n’en ai plus jamais parlé avec ma famille – dit le quadragénaire.
Pour Margot Fried-Filliozat, « les parents qui ont suivi un chemin personnel dans le traitement de leurs névroses et traumatismes résolvent le problème beaucoup plus facilement ». En bref : parler de sexualité avec votre progéniture vous amènera sans aucun doute à repenser votre rapport à la sexualité.
2Certains sujets peuvent être abordés dès l’enfance
Attention : parler de sexualité avec son enfant n’est pas parler de pratiques sexuelles, prévient la journaliste Chloé Thibaud, auteur de Hum Hum : Et si on parlait vraiment de sexe ? (publié par Webedia Books). « Évidemment, nous n’allons pas nous plonger dans le Kama Sutra avec notre enfant. A voir aussi : Yaourt : 7 conseils pour bien choisir. Mais il y a des sujets importants que nous devons aborder, comme le consentement, le respect de soi et le respect des autres », insiste-t-elle.
Le consentement lui-même, mis en lumière par le mouvement #MeToo, est accessible dès la petite enfance. Il s’agit d’apprendre à respecter ses désirs et à respecter les désirs des autres. Dès l’âge de 3 ans, on peut lui dire qu’il a le droit de dire non s’il ne veut pas qu’une dame l’embrasse ou qu’un oncle lui caresse les cheveux. « On a tendance à rejeter ces enfants comme des caprices, en leur disant qu’ils doivent prendre sur eux de plaire aux adultes. Mais on leur apprend indirectement à ne pas s’écouter », pointe Chloé Thibaud.
En grandissant, le concept de consentement s’appliquera également à d’autres situations. Prendre la main de quelqu’un, danser, embrasser, câliner… Il faut le vouloir et s’assurer que c’est réciproque, dans la phrase : « Puis-je te tenir la main ? Puis-je t’embrasser ? » Si ces discussions ont lieu dès l’enfance, le sujet sera d’autant plus facile à aborder lorsqu’on parlera de sexualité.
« Ce que vous devez mettre dans la tête de votre adolescent, c’est: » Écoutez-vous. Vos sentiments, vos désirs, vos désirs. Ne vous forcez jamais et ne forcez jamais la personne en face de vous.
3Levez le tabou de la masturbation
Le plaisir et l’orgasme s’apprennent. Mais si la masturbation est pratiquée par une grande partie des femmes et des hommes, elle est tout de même associée à un parfum de culpabilité, voire de déviance. A voir aussi : Réglementation médicale : A Lyon, le Samu du Rhône se dresse avec les milliers d’appels passés depuis le 15.. Il est donc important que vous puissiez en parler avec votre adolescent, afin de normaliser cette pratique.
Ce n’est pas facile d’en parler directement. Pour Julia Pietri, fondatrice du compte Instagram « Le gang du clitoris » et auteure de A Little Guide to Sexual Foufounes (publié par Better Call Julia), l’essentiel est de minimiser la masturbation. « Se masturber, c’est d’abord se faire du bien. La société en a fait autre chose, l’associant à une forme de dépravation, notamment à la pornographie », explique-t-elle.
Si une conversation directe est trop délicate, n’hésitez pas à vous appuyer sur des médias extérieurs, suggère Chloé Thibaud, conseillant un film ou une série, comme Education sexuelle, dans laquelle les scènes de masturbation, surtout féminines, ne manquent pas. « C’est important pour un adolescent de comprendre que ce n’est pas honteux ou sale, mais très important. Si un adolescent ne prend pas le temps de se découvrir, il ne saura pas ce qui le rend heureux », insiste-t-il. journaliste.
4Toutes les questions méritent une réponse
Il est tout à fait normal que certaines questions vous déstabilisent. Les parents ne sont pas experts en tout. Si vous n’avez pas de réponse, prenez le temps de vous renseigner et de vous mettre au courant.
« La sexualité, c’est un peu comme le Code de la route : on a les bases, mais ça évolue, ça se complète, il y a des versions étoffées. Il faut faire un effort pour se mettre à jour. »
Cependant, il y a des sujets trop intimes pour être abordés avec les parents, « d’où l’intérêt de se positionner avant tout comme accompagnateur de son enfant, proposer de l’emmener chez un gynécologue ou un psychologue si on détecte du stress en arrière-plan » , précise Margot Fried-Filliozat .
Le thérapeute évoque aussi un autre scénario : une question qu’il faut déchiffrer. Elle se souvient d’avoir vu un père dont le fils de 6 ans lui a demandé : « Papa, quel goût a le sperme ? » « Évidemment, il était complètement paniqué, se souvient-elle. Que ce soit un gamin de 6 ans ou de 16 ans, on ne va pas lui décrire le goût du sperme, on s’en fout. On prend un respirez profondément et dites-vous : ‘Pourquoi mon enfant a-t-il cela en tête ?’ Et nous lui demanderons : ‘D’où vous vient cette question ?' »
Avec ce questionnement, l’enfant exprime son désarroi. On peut supposer qu’il a vu ou entendu quelque chose qui le déstabiliserait. Le but ici n’est donc pas de répondre à la question, mais de l’aider à comprendre et à redonner du sens à cette information.
5Nommez les choses
Branler, mouiller, bander, éjaculer… Ces mots vous mettent-ils mal à l’aise ? Ils peuvent paraître bruts, et pourtant ils ne sont pas vulgaires, insiste Chloé Thibaud. « Ce sont les mots utilisés par un adolescent en 2022. Si on n’utilise pas les bons termes, on va passer par des périphrases, des euphémismes et on ne saura pas vraiment de quoi on parle au final », ajoute-t-elle. .
Julia Pietri partage son analyse. « Dès le plus jeune âge, au lieu de dire ‘vos parties’, n’hésitez pas à nommer précisément l’anatomie de votre enfant. Si vous lui parlez de son pénis, de ses testicules ou de sa vulve, il ne sera pas plus choqué que si vous lui parliez lui parler de son coude, de son nez ou de son genou », assure-t-elle. L’idée est d’établir une relation dans laquelle un enfant, et plus tard un adolescent, pourra parler de son corps, sans gêne ni honte.
6Parlez de la sexualité comme sujet de société
Gardez pour vous le moment redouté du grand discours, celui où vous emmenez un adolescent en privé pour lui expliquer les choses de la vie. C’est stressant et pas très agréable comme approche. « Il vaut mieux parler de sexualité à travers le prisme des enjeux de société que de dire : ‘Et toi, tu te masturbes ?’ » conseille Margot Fried-Filliozat.
« On entend inévitablement des histoires de violences sexuelles dans les médias : il est important de s’appuyer sur ces différents faits pour répondre à des questions fondamentales, qui autrement ne se poseraient pas dans le débat. »
Margot Fried-Filliozat, sexologue
Julia Pietri recommande également d’utiliser autant que possible des questions ouvertes, du type « Qu’en pensez-vous ? Avez-vous été dans cette situation ? Avez-vous déjà entendu ce mot ? » L’idée n’est pas d’exagérer l’enfant, de savoir où il en est dans sa réflexion et d’éviter de le choquer en lui parlant de sujets qu’il ne connaît pas. « Surtout, le laisser s’exprimer lui permet de déconstruire les faussetés qu’il entendrait », ajoute-t-elle.
7Déconstruisez la pornographie
Dès l’âge de 12 ans, près d’un enfant sur trois a déjà vu des contenus pornographiques, et l’âge moyen de première exposition continue de baisser, l’accès aux smartphones et à Internet devenant de plus en plus jeune.
Les résultats obtenus sont catastrophiques, selon une étude menée en février (lien PDF) pour l’Association Mémoire traumatique et victimologie. Selon cette étude Ipsos, pas moins de 23% des jeunes de 18 à 24 ans estiment que « beaucoup de femmes aiment être forcées », et 36% qu’elles aiment « être humiliées et insultées ».
D’où la grande importance d’établir un dialogue autour des représentations particulièrement violentes et misogynes véhiculées par la pornographie. Chloé Thibaud propose de comparer la pornographie aux films d’horreur, rappelant que ce qu’on y voit ne reflète en rien la réalité. « Il faut expliquer qu’il y a des effets spéciaux, des faux pénis, des faux spermes, que les acteurs se droguent pour se rendre plus forts, plus longtemps, plus forts, que beaucoup d’actrices prennent des analgésiques. L’idée est d’en mettre le plus possible à distance . » explique-t-elle.
Il faut aussi souligner le fait que de nombreux films pornos ne respectent pas le consentement des actrices, et qu’il s’agit d’une industrie imprégnée de sexisme et de racisme, comme l’a montré la récente affaire « French Bukkake ». Margot Fried-Filliozat conseille également de lire les témoignages d’acteurs et d’actrices qui font des concessions, comme Nikita Bellucci, « qui a déclaré publiquement que sa vie privée est absolument différente des films qu’elle a réalisés par le passé. » On peut aussi proposer des alternatives plus féministes. Chloé Thibaud conseille notamment le site « OMG Yes! » qui rassemble des milliers de contenus – tutos vidéos, interviews, témoignages, graphismes – sur différents sujets comme le plaisir clitoridien, l’orgasme, la pénétration… Vous pouvez proposer de la pornographie féministe à votre ado, où le consentement est mis en scène. Les podcasts érotiques ont également le vent en poupe. Bref : de quoi lui permettre d’explorer sa sexualité, sans stéréotypes de genre et sans violence.