Une blessure toujours vivante. La famille du petit Othmane, décédé en octobre 2015 des suites d’un terrible accident dans l’ascenseur de sa résidence, peine toujours à faire son deuil en raison d’interminables procédures judiciaires. Condamné pour « homicide involontaire », en première instance en 2018, puis en appel en 2020, l’ascenseur Otis a finalement obtenu l’annulation de la peine devant la Cour de cassation en juin dernier. Dès lors, sa responsabilité dans la mort du garçon de 7 ans a de nouveau été débattue ce vendredi 15 avril, devant la cour d’appel de Versailles, qui rendra sa décision le 24 mai.
Comme une énième fois, l’histoire de cette journée du 10 octobre a été revisitée. Ce jour-là, le petit Othmane est descendu de son immeuble, situé rue Louis Blériot dans le quartier du Val Fourré, avec un de ses frères pour aller manger quelque chose dans un snack voisin. Cependant, une fois arrivés devant le commerce, les deux garçons n’ont pas assez d’argent et Othmane est chargé de retourner chercher les quelques pièces manquantes dans l’appartement familial. Le garçon se retourne et prend l’ascenseur de la résidence sur son scooter.
« La roue [de ce dernier] s’est alors coincée dans un interstice observé au bas des portières », se souvient le juge. Selon l’enquête, lorsque l’ascenseur a commencé, le scooter s’est élevé jusqu’à ce que le guidon bloque le cou du garçon, le faisant suffoquer. Ne le voyant pas arriver, son frère donne l’alerte. L’enfant sera retrouvé inconscient dans l’ascenseur, coincé entre le rez-de-chaussée et le premier étage et ne pourra pas être ranimé.
Dès l’enquête, Otis, la société en charge de la maintenance de l’appareil, est soupçonnée de « négligence » dans sa mission. En mai 2020, les juges avaient également conclu, en appel, à une défaillance technique et ainsi confirmé la condamnation prononcée en octobre 2018 en première instance qui condamnait l’entreprise à une amende de 60 000 euros. Mais la décision a été annulée en juin dernier après que l’exploitant de l’ascenseur a fait appel d’un vice de procédure : l’avocat de la défense n’a pas eu le dernier mot.
En début d’après-midi, l’impatience et la colère de la famille Othmane ont dépassé les murs de pierre de la cour d’appel de Versailles. Sur le trottoir de la Carrer Carnot, 5, une voiture est entièrement recouverte d’une bâche avec le visage du petit garçon et la mention « Justice pour Othmane ! » Des mots retrouvés sur les T-shirts noirs des parents, grands-parents, oncles et amis assis dans la pièce.
Contrairement aux avis précédents, Otis a assuré ne pas nier la responsabilité civile de l’entreprise mais s’est défendu contre la condamnation pénale exigée par l’avocat général. « Nous avons de l’imprudence, de la négligence criminelle », a-t-il dit, arguant que l’ascenseur n’a pas tout fait pour éviter un accident.
Car les investigations retracent de nombreux signalements des voisins et du gardien de l’immeuble. « L’ascenseur semblait se casser souvent », a noté le juge. A plusieurs reprises, le concierge a contacté l’entreprise pour réparation, mentionne quatre pannes successives et indique qu’il est contrarié et trouve cela manquant de gravité. « Après l’accident, l’expert avait noté une distance de 4 centimètres au bas des portes de l’ascenseur.
Selon Otis, le contrôle effectué sur ce dernier, la veille de l’accident, n’avait cependant relevé aucune anomalie ni aucune « queue de billard ». Mais les détails de cette intervention ne sont toujours pas clairs puisque le rapport de dossier ne justifie pas précisément les tâches effectuées par le technicien ni le temps qu’il passe sur l’appareil.
Dans un briefing hautement technique, étayé par les données de la « boîte noire » de l’ascenseur, le représentant d’Otis a cherché à saper certaines des conclusions de l’expert sur la défaillance de la porte. « Ce qui nous intéresse, ce n’est pas la répétition des pannes, mais la causalité », ajoute l’avocate Margaux Durand-Poincloux, avocate de l’entreprise, mettant en avant des témoignages d’usagers qui n’avaient constaté « aucun dysfonctionnement, aucun espace entre les portes coulissantes le jour de la mort ».
« C’est mon fils qui est mort, ce n’est pas un chat« , dit la mère d’Othmane, indignée de la manière dont se déroulent les échanges. Les yeux mouillés, il se dirige vers le bar, un portrait de son fils dans les bras. « Cela fait maintenant cinq ans que je vis dans l’immeuble, j’ai toujours vu cet espace [donc] c’était normal pour moi », dit-il.
Plusieurs semaines avant l’accident, Otis avait envoyé un devis au bailleur, Mantes Yvelines Habitat, pour lui proposer de remplacer les portes de l’ascenseur. « Nous n’avons pas eu de réponse », grince le représentant d’Otis, pointant du doigt la responsabilité du bailleur, acquitté en première instance et réglé en 2019.
« Il n’y a pas de problème, mais on change tout », a déclaré maître Charles Morel, l’un des avocats de la famille d’Othmane, qui s’étonne que l’ascenseur tente de « diluer la responsabilité » de cet accident sur d’autres acteurs. . « Il est clair que ce qui a été envoyé est un devis commercial et, d’ailleurs, la gérante du bailleur indique clairement qu’elle n’avait pas répondu à cette demande puisqu’à aucun moment l’urgence de ces travaux n’a été évoquée. » continue.