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Chœur des amants, dir. Tiago Rodrigues, mise en scène Tiago Rodrigues, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris

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17 octobre 2022 | & # xD ;
Commentaires fermés sur Choeur des amants, Tiago Rodrigues, mise en scène Tiago Rodrigues, Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
article Emmanuelle Saulnier-Cassia
Chœur des amants raconte la vie d’un couple en un temps record de 45 minutes, dans un format très court, mais le leitmotiv est « On a le temps ». Et en effet, pendant ce temps, si compact soit-il, nous avons le temps de voir la vie de deux, à la fois ordinaires et extraordinaires, qui nous proposent leur voyage dans leurs pièges, eux aussi ordinaires et extraordinaires, car accidents de la vie, erreurs, blessures, les sous-entendus sont propres à chaque personne et, bien sûr, à chaque couple, mais ils ne se transforment pas toujours, ne se subliment pas toujours en autre chose au fil de la vie, qui peut s’enraciner à la fois dans la réalité et dans la poétique. L’aboutissement de cette pièce est de raconter l’histoire de la vie à travers un récit choral, qui, cependant, à l’écriture passe par divers registres, usant d’un vocabulaire technique (surtout médical), trivial, lyrique et à travers des scénarios issus d’un road movie accéléré nous entraînant dans le milieu de la nuit aux urgences et aux soins intensifs thérapeutiques (et en retenant le souffle du spectateur jusqu’à ce qu’on soit sûr qu’il respire à nouveau), en passant par le retour et les petits tracas du quotidien, jusqu’à la décrépitude de la forêt, leur forêt, ou plutôt la forêt à laquelle ils appartiennent.
Le « chœur » doit (surtout) être pris au pied de la lettre. L’histoire est principalement racontée en même temps, les deux voix se chevauchent littéralement, les seules différences étant « elle » et « moi » et « droite » et « gauche » (une blague récurrente qui donne au spectateur des éclats de rire vifs ou sourires) qu’il s’agisse d’un voyage à l’hôpital, du film Scarface avec Al Pacino, d’un déménagement dans une maison qui n’a pas de « putain de jardin », ou de leur fille qui chante dans son lit pour s’endormir. L’un ou l’autre reprend l’histoire ici et là. Mais c’est surtout au milieu de la représentation qu’il y a ce moment unique et tellement audacieux sur la scène du théâtre. Le talent de deux acteurs exceptionnels David Geselson et Alma Palacios y est pour beaucoup. Cinq minutes, peut-être plus, peut-être moins, le temps semble suspendu. Nous sommes en audience suspendue. En suspension dans leur bouche, dans leurs yeux, dans leurs pensées, mais aussi dans les nôtres. Assis à côté de nous, une tasse de thé à la main. On voit le couple s’enfuir, se caresser le visage. Le chaudron interrompit la scène précédente avec son sifflement insistant. En face de nous, au coude à coude, ils redeviennent familiers. Ils s’acclimatent à cette proximité avec l’espace de cet appartement, qui n’a pas changé, mais il a réussi à le nettoyer lui-même (mais elle a dû tomber malade pour le faire, bien qu’il ait pu repeindre les murs). Ils s’assoient sans dire un mot parce qu’ils « ont le temps », n’est-ce pas ? Ils se reniflent presque. Ici et là, il déglutit. Le sourire. Même quelques sourires. Un rire à peine étouffé. C’est presque sensuel. C’est sensuel. Ils n’ont pas bougé de leurs chaises, mais on devine qu’on sent une attirance mutuelle qui renaît. Jouer à chaque fois de chaque visa est soumis à l’âge. Et tant qu’on ne peut s’empêcher (et pourquoi devrions-nous ?) ressentir toute la joie d’une complicité aussi intense, c’est un petit rien, un petit sourire narquois de l’un, un battement de cils de l’autre et imperceptiblement, les mimiques changent, deviennent plus sérieuses et nous font tomber à la renverse. Que se passe-t-il en eux ? Que se passe-t-il en nous ? Pourtant, nous avons vécu mille fois ces moments de retournement indescriptibles, irrationnels et indicibles. Mais sur le plateau des Bouffes du Nord, cela devient étonnant et puissamment dramatique.
Choeur des amants est le premier texte théâtral de Tiago Rodrigues. Créé à Lisbonne en 2007, l’auteur et réalisateur portugais s’en est emparé avec une idée géniale pour imaginer le temps qui s’est écoulé depuis. La suite est très philosophique et poétique à la fois. Il est vrai que « la décision de changer est rapide » mais « le changement est lent ». L’influence de l’épreuve peut faire vaciller ou se renforcer le couple, même après des périodes d’euphémisme, d’errance ou de séparation. Ils ont choisi et réussi pour qu’au final, même lorsque l’un d’eux n’est plus physiquement sur terre, ils soient tous les deux toujours là, et la combinaison de leur humus nourrira cette terre commune des amoureux.