Des décennies de « réforme », de déshumanisation, d’austérité budgétaire et de financement excessif de la santé se sont maintenant transformées en catastrophe.
Faute de personnel et de moyens, pas moins de 120 services d’urgence ont été contraints ou s’apprêtent à imposer des contrôles d’accès et des fermetures partielles voire totales.
Manque de médecins, d’infirmiers, d’aides-soignants ou de « lits en aval » pour déplacer les patients : les services d’urgence font face à de graves « difficultés », prévient l’association SAMU-Urgences en France (SudF).
Ces 120 services représentent près de 20 % des quelque 620 entreprises – publiques et privées – qui hébergent un ou plusieurs services d’urgence. Et il ne s’agit pas que des petits hôpitaux des coins reculés car 14 des 32 plus grands hôpitaux de France (CHU et CHR) sont concernés !
Le CHU de Bordeaux, par exemple, vient d’instaurer fin mai un « accès réglementé » tous les soirs entre 20h et 8h, et d’autres pourraient suivre. Sauf « urgence avérée », il est impossible d’entrer dans le premier service de Nouvelle-Aquitaine sans un 15e appel téléphonique préalable.
A Chinon (Indre-et-Loire), les activités d’urgence ont été totalement suspendues car la plupart des infirmiers du service étaient en arrêt maladie. Les mères qui accouchent ne peuvent plus garantir l’accouchement. D’autres entreprises ont opté pour le « délestage », renvoient des patients vers d’autres sites, comme Laval (Mayenne), ou ont utilisé des plans blancs, qui permettent de reprogrammer des opérations et de transférer du personnel, comme le CHU de Rennes.
Si le tableau est déjà inquiétant, et que le pire est encore à venir. « Nous avons un risque d’accès limité aux soins. C’est déjà arrivé et ça pourrait bien s’aggraver pendant l’été, quand les vacances seront finies », a déclaré le professeur Rémi Salomon, président de l’Association médicale des hôpitaux de Paris (AP-HP), à franceinfo.
Dans une tribune publiée dans Le Monde le 1er juin par Frédéric Adnet, chef du service des urgences à l’hôpital Avicenne, franchement : « Aux urgences, un service sur cinq risque de fermer cet été. Alors il y aura la mort. »
« Aux urgences, un service sur cinq est en danger de fermeture cet été. Il y aura donc des morts »
Tribune de Frédéric Adnet, chef du service des urgences de l’hôpital Avicenne de Bobigny et directeur médical du SAMU de Seine-Saint-Denis. Voir l’article : Frotter les cuisses : nos conseils pour éviter les irritations en été.
Source : Le Monde, 1er juin 2022.
Des unités surpeuplées et la « gestion inhumaine » des ressources humaines ont entraîné la désertion du personnel hospitalier, alerte, dans une tribune sur « Le Monde », Frédéric Adnet, chef du service des urgences de l’hôpital Avienne à Bobigny.
Les hôpitaux publics vont mal, les services d’urgence sont terribles. Symptômes et conséquences d’une crise hospitalière profonde, accélérée par la pandémie de Covid-19, les urgences au bord de l’effondrement. En raison d’une pénurie de personnel hospitalier, un service sur cinq risque de fermer cet été.
Se remettre en configuration de crise Covid
Il y aura donc des morts… Toutes les études scientifiques montrent que l’engorgement des urgences est un facteur associé à un excès indu de décès. Cependant, la salle d’urgence est la devanture et la porte d’entrée de l’hôpital. Sur le même sujet : Canicule : comment supporter la chaleur enceinte ?. Le départ massif d’infirmières et de médecins a déstabilisé notre place, avec des fermetures de lits et de services, rendant notre embouteillage d’urgence inévitable.
Cette profonde et profonde déception du personnel hospitalier a résulté de la gestion inhumaine des ressources humaines, transformant notre administration hospitalière en gestion entrepreneuriale, dont la seule boussole reste la rentabilité. Un critère déraisonnable, car nos revenus exacerbent le déficit de l’assurance-maladie, et donc le bilan du pays, basé sur la fameuse tarification à l’activité (T2A), avec des effets meurtriers. Nous sommes clairement en fin de cycle, réclamant des réformes structurelles fondamentales, que nos différents ministres ont maintes fois annoncées, mais n’ont jamais réalisées ni même initiées.
Comment en est-on arrivé là ?
Comment passer l’été sans trop de « dégâts » ? Avec les vacances de notre personnel hospitalier, la situation va s’aggraver. Pour limiter les dégâts, il est urgent de revenir à une configuration de crise, à l’image de la crise provoquée par le Covid-19. Les agences régionales de santé et la direction hospitalière devraient réactiver nos fameuses cellules de crise, en mettant en place des organisations de « gestion des lits », à travers des recensements quotidiens, au niveau départemental, de tous les lits disponibles et des informations en temps réel des établissements en crise. Oui, cette « livraison » peut être efficace, mais ne vous y trompez pas, faire face à cette nouvelle crise aura un coût supplémentaire pour les personnels souffrants et épuisés. L’utilisation d’une nouvelle déprogrammation pour vider le lit est donc une autre option possible.
Dans mon service, je demande toujours aux infirmiers, aides-soignants, cadres de santé le motif de leur départ. Ceci pourrez vous intéresser : « Les gens ne se soignent pas » : la Mayenne manque de dentistes.
Etre considéré comme un pion
Deux types d’arguments : d’une part, le manque « factuel » d’attractivité institutionnelle ; ensuite, le sentiment de manque de reconnaissance humaine. Manque de traction : difficultés de logement car le loyer hors sol est coupé des revenus de nos soignants, entraînant des déplacements plus longs et plus chers. Nous devons régler ce problème en commandant, en contractualisant avec la mairie, des logements abordables pour nos soignants.
En revanche, la rémunération, bien qu’elle ait été réévaluée par le Ségur de la santé en 2021, est toujours aussi peu attractive que l’investissement et les rigueurs d’un métier de nounou. Et les notes de travail de nuit et de garde sont restées bien en deçà des attentes du personnel. Ces conditions de travail sont toujours harmonisées au moins disant, au nom de l’efficacité, avec de plus en plus de lits gérés par une seule infirmière, quelle que soit la spécialité médicale ou la charge de soins. Et les médecins n’ont plus leur mot à dire.
Sans oublier l’illustre bassin de soignants, souvent affublé du doux mot de polycompétence, qui se traduit en réalité par le déplacement soudain et souvent ultime des infirmières d’un service à l’autre. Autrement dit, pour combler le vide. Alors que ces mêmes soignants demandent simplement à augmenter leur spécialité, leur spécialité est dans un domaine particulier de la médecine dans lequel ils excellent, comme les infirmières en soins spécialisés en diabète, les services ultra-spécialisés en neuro-vasculaire ou en chirurgie thoracique.
Être vu comme un pion ajoute de la souffrance, voire des abus, au travail.
Mépris
Enfin, il y a le reste, les petites choses qui font toute la différence. Sentir que l’hôpital vous aime peut signifier une salle confortable, où il y a une vraie salle de repos pour le personnel, une vraie salle de garde, une nourriture qui peut supporter les niveaux atteints pendant la crise du Covid-19, un service où il y a une équipe d’esprit et solidarité en place rénové et propre : un coup de pinceau peut changer beaucoup de choses !
N’oublions pas le télétravail, inaccessible aux soignants et actuellement glorifié par les proches ou le personnel administratif, qui accentue le sentiment de difficulté du travail posté. Les cadres de santé souffrent aussi, victimes d’un métier dégradant, lassés de la double polyvalence : il n’est pas rare, de nos jours, de voir des cadres de santé en charge de services de spécialités diverses et qui, en plus, ont en charge des équipes de jour et de nuit . Fatigue, manque de reconnaissance salariale, avec, souvent, un management sourd… Autant de sacrifices sur l’autel du profit : on détruit tout ce qui n’est pas rentable.
Un symbole, une anecdote, mais significatif. Les personnels soignants paramédicaux, infirmiers, aides-soignants, agents hospitaliers se voient attribuer un sigle par la direction hospitalière : PNM (personnel non médical), par opposition à PM (personnel médical). Évoquer la diversité de ces professions avec le simple fait qu’ils ne sont pas médecins ? Comment nos esprits ne peuvent-ils pas voir tout le mépris que ce terme contient ! Comment vous sentez-vous valorisé dans votre profession quand on vous traite de « non-médecin » ? Les artisans sont-ils appelés « non-ingénieurs » ? Cette humiliation a contribué à la formation d’un état d’esprit qui a contribué à la désertion d’un personnel hospitalier nombreux et sans précédent comme celui que nous voyons aujourd’hui.
Et la prochaine génération ? Malheureusement, on constate que la plupart des étudiants en soins infirmiers hésitent de plus en plus à rejoindre les hôpitaux, alors qu’ils ne quittent pas simplement leurs études.