Voyage dans un hôtel mythique, le Negresco

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Il y a des lieux qui évoquent des images d’une époque révolue et lointaine dont on est nostalgique sans même l’avoir connue. Le Negresco en est un. Il se détache, exhibant son dôme rose, face à la Méditerranée bordée de palmiers. Son histoire est comme un conte de Noël où les souhaits, exprimés immédiatement, se réalisent d’un simple effleurement des doigts. C’est celle du maître d’hôtel Henri Negresco, d’origine roumaine, qui croit fermement en son rêve de construire un hôtel impressionnant.

Devant la façade rococo du Negresco où se dresse un chasseur de la marine de Louis XV et à la livrée rouge, on retrace le fil de son histoire singulière qui commence en 1911, quand Henri Negresco acquiert le terrain où il rêve à Nice. C’était la Belle Époque, quand le progrès technique générait l’opulence et l’insouciance en Europe, quand la Côte d’Azur voyait toute une aristocratie européenne venir se réchauffer l’hiver sous les rayons d’un soleil radieux. La Promenade des Anglais, qui n’était destinée qu’à la contemplation et à la flânerie, concentre désormais toutes les attentions, éveille toutes les initiatives. Henri Negresco, maître d’hôtel des grands palaces aux clients extrêmement riches, voit grand. Il rêve, sur cette promenade, d’un hôtel extravagant qui accueille une clientèle de luxe. Il était devenu, en côtoyant hommes d’affaires et souverains, indispensable. Elle est ouverte aux magnats de l’automobile, de Dion-Bouton et Alexandre Darracq, qui n’hésitent pas, du fait de leur amitié avec ce majordome d’exception, à lui apporter un soutien financier. Il se rapproche de l’architecte Édouard-Jean Niermans qui dessine les plans. Henri Negresco procède à quelques ajustements.

Le 4 janvier 1913, parmi les invités prestigieux, des têtes couronnées célèbrent l’inauguration fracassante du Negresco, sans se douter que dix-huit mois plus tard une guerre éclatera. Tout le monde est émerveillé par le hall de style Louis XVI, qui a conservé sa splendeur d’antan. La majestueuse salle de bal surmontée d’une splendide verrière, aujourd’hui classée monument historique, dévoile un lustre en cristal de Baccarat de 4,60 mètres de haut, destiné à l’origine au tsar Nicolas II. Sous la colonnade, deux immenses fresques évoquent l’atmosphère de la Belle Époque, marquée par la fête et la légèreté érotique, dont l’une est de Paul Gervais. Le rêve grandiose du majordome est devenu réalité.

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Seulement, le réel, parfois redoutable, finit par rattraper son retard. La Grande Guerre a vomi ses morts et ses blessés par centaines. La Grande Guerre tire l’Histoire de son souffle infernal. Elle détruit le rêve du majordome en un clin d’œil. Le Negresco est réquisitionné pour accueillir des blessés de guerre et des réfugiés. Il devient un hôpital militaire. En 1918, Henri Negresco tente en vain de faire revivre son somptueux hôtel, mais, ruiné et malade, il meurt en 1920 à Paris. Une société hôtelière belge rachète son bail. L’âge d’or est malheureusement terminé.

Au lendemain de la Grande Guerre, les promenades incessantes le long de la mer ont peu à peu disparu, et la saison estivale, au fil des années, a supplanté la saison hivernale, avec ses loisirs maritimes et ses sports nautiques. Le Negresco a déjà perdu de sa superbe, détrôné par les autres hôtels de la côte. Et voilà que la Seconde Guerre mondiale s’achève en 1939. Un sinistre présage pour le Negresco, qui subit le coup et se détériore.

Il lui faudra encore longtemps pour retrouver une seconde jeunesse. En 1957, Jean-Baptiste Mesnage, dont la femme est paralysée suite à une opération, l’achète, car c’est le seul hôtel équipé d’un élévateur pour fauteuils roulants. Il confie l’hôtel à sa fille Jeanne, mariée à Paul Augier, avocat niçois. Cela lui donne un air d’excès et d’excès, rendant l’ascenseur tapissé de velours rouge et meubler les salons, les suites et les chambres avec des œuvres d’art.

Dans les années 60 et 70, le Negresco retrouve toute son exubérance d’antan. C’est le centre de la vie culturelle et artistique de la Côte d’Azur. De grandes stars viennent y séjourner pour faire un concert ou tourner un film sur la Riviera, peintres et écrivains. Les Beatles, les Rolling Stones, Michael Jackson, mais aussi Richard Burton, Liz Taylor, Montserrat Caballé, Charles Aznavour, Dali, Picasso, Matisse, Cocteau ou encore Jean-Paul Belmondo et Jeanne Moreau, et la liste est longue. Jeanne Augier en a fait un musée, l’enrichissant de quelque six mille œuvres d’art classique et contemporain, comme la Nana Jaune de Niki de Saint Phalle qui trône dans la Salle Royale, des portraits de monarques, le buste majestueux de Marie-Antoinette à l’entrée du bar, le portrait de Louis Armstrong par Raymond Moretti. Elle en a fait le fleuron du patrimoine français, tant pour ses oeuvres d’art, sa menuiserie et ses tapis que pour sa gastronomie avec le restaurant étoilé, le Chantecler, et la brasserie, la Rotonde. Le Negresco est classé monument historique.

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Les années passent et les signes d’usure sont visibles à travers les tapis délavés, les carreaux usés et la peinture écaillée. En 2010, l’hôtel a fermé ses portes pour d’importants travaux de rénovation avant de fêter son centenaire. Jeanne Augier, sans descendance, a légué le Negresco à sa mort en 2019 au Fonds de dotation Mesnage-Augier-Negresco, qui œuvre pour la défense des animaux, l’aide aux personnes handicapées ou en difficultés et participe à la préservation culturelle de la France.

Début 2023, le Negresco, défiant courageusement le temps, fête son cent dixième anniversaire. On a l’impression d’être dans un lieu mythique au charme désuet où tant d’histoires incroyables ont laissé leur empreinte. Henri Negresco est mort dans le dénuement, mais son nom de famille brille toujours comme un phare devant l’hôtel.